Le Roman d'Alexandre le Grand
et
marcha le long de la muraille jusqu’à ce qu’il entende, plus clairement cette
fois-ci, mais toujours faiblement, l’aboiement d’un chien. En scrutant les
vagues ourlées d’écume, il aperçut Péritas qui nageait désespérément, à la
limite de ses forces. Alors il s’écria : « C’est mon chien !
C’est Péritas, sauvez-le ! Sauvez-le, par Héraclès ! »
Trois marins plongèrent
immédiatement et ils entourèrent de cordes le corps de l’animal pour le hisser
à bord.
Une fois sur le pont, la pauvre bête
se coucha, complètement épuisée, tandis qu’Alexandre s’agenouillait devant
elle, la caressant avec émotion. Un bout de chaîne pendait encore à son cou, et
ses pattes saignaient d’avoir tant couru.
« Péritas, Péritas,
répétait-il. Ne meurs pas.
— Ne t’inquiète pas, sire, le
rassura un vétérinaire de l’armée aussitôt accouru. Il s’en tirera. Il est
seulement mort de fatigue. »
Séché et réchauffé par les rayons du
soleil, Péritas donna bientôt des signes de vie et fit entendre sa voix. C’est
alors que Néarque posa la main sur l’épaule du souverain. « Sire,
l’Asie. »
Alexandre bondit et se précipita à
la proue : la rive asiatique se profilait devant lui, découpée par mille
criques et ponctuée de villages enchâssés dans des collines boisées et des
plages ensoleillées.
« Nous allons débarquer »,
ajouta Néarque tandis que les marins amenaient la voile et s’apprêtaient à
jeter l’ancre.
Le grand rostre de bronze fendait
les vagues vaporeuses et Alexandre contemplait cette terre, désormais proche,
comme si les rêves qu’il avait longuement caressés s’apprêtaient à devenir
réalité.
Le commandant s’écria :
« Rames dehors ! »
Les rameurs levèrent leurs rames
ruisselantes, laissant le navire continuer sur son élan vers la côte. Quand ils
se trouvèrent à proximité du rivage, Alexandre empoigna sa lance, prit son élan
et la jeta de toutes ses forces. La hampe pointue décrivit dans le ciel une
large courbe en scintillant sous le soleil comme un météore, puis, reprenant de
la vitesse, elle se précipita vers le sol avant de se planter en vibrant sur le
sol asiatique.
DeuxièmelivreLES SABLES D’AMMON
1
Du haut de la colline, Alexandre se tourna vers la plage pour
contempler un spectacle qui avait déjà eu lieu mille ans plus tôt : des
centaines de navires, des milliers de guerriers étaient alignés sur la rive.
Mais la ville qui s’étendait derrière lui, Ilion, l’héritière de l’ancienne
Troie, ne se préparait pas à un siège de dix ans. Elle ouvrait ses portes au
descendant d’Achille et de Priam.
Voyant ses compagnons sauter à
cheval et se diriger vers lui, il éperonna Bucéphale : il voulait être le
premier à entrer dans le vieux sanctuaire d’Athéna Ilias et à s’y recueillir.
Une fois sur les lieux, il confia son étalon à un domestique et franchit le
seuil du temple.
Des formes indéterminées, des objets
aux contours flous luisaient dans la pénombre, et ses yeux, aveuglés un instant
plus tôt par la splendeur de la Troade sous un soleil au zénith, durent
s’habituer à une telle obscurité.
L’édifice abritait les souvenirs de
la guerre d’Homère, l’épopée d’un siège de dix ans face aux murs que les dieux
avaient élevés. Ces objets, vieillis par le temps, portaient une dédicace, une
inscription : on pouvait admirer la cithare de Pâris et les armes
d’Achille, notamment son grand bouclier historié.
Alexandre embrassa du regard le
sanctuaire, s’attardant sur les vestiges que des mains invisibles avaient
conservés dans tout leur éclat, au cours des siècles, pour la dévotion et la
curiosité des fidèles. Ils étaient fixés aux colonnes, aux poutres du plafond,
aux murs de la cellule. Mais qu’y avait-il de vrai en eux ? N’étaient-ils
pas en partie le fruit de la ruse des prêtres, de leur avidité ?
Au milieu de tout ce fatras, qui
évoquait une accumulation de marchandises, plus que le mobilier d’un
sanctuaire, seules sa passion pour le poète aveugle et son admiration pour ses
héros, réduits en cendres par le temps et par les innombrables événements
survenus entre les deux rives des Détroits, étaient vraiment sincères.
Il s’était présenté à l’improviste,
comme jadis son père Philippe dans le temple d’Apollon à Delphes, et personne
ne l’attendait. Entendant un pas
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