Le Roman d'Alexandre le Grand
au cou de son
assassin.
— Cet homme a vengé les féroces
humiliations que Philippe m’avait infligées, et il a fait de toi un roi.
— Cet homme a exécuté les
ordres d’un instigateur. Pourquoi ne le couronnes-tu pas, lui aussi ?
— Parce que j’ignore de qui il
s’agit.
— Mais je le saurai, tôt ou
tard, et je le clouerai vivant au poteau.
— Et si ton père était un
dieu ? »
Alexandre baissa les paupières et
revit Philippe s’écrouler dans une mare de sang, il le vit s’effondrer
lentement comme dans un rêve, et il put déchiffrer les rides que la souffrance
gravait cruellement sur son visage avant de le tuer. Il sentit les larmes lui
monter aux yeux.
« Si mon père est un dieu, je
le rencontrerai un jour. Mais il ne sera certainement pas plus bienveillant
avec moi que ne l’a été Philippe. J’ai offert des sacrifices à son ombre
courroucée avant de partir, mère. »
Olympias leva à nouveau les yeux vers
le ciel : « L’oracle de Dodone a marqué ta naissance. Un autre
oracle, au milieu d’un désert ardent, marquera pour toi une autre naissance,
dans une vie qui ne s’éteindra pas. » Puis elle se tourna brusquement vers
son fils et se jeta dans ses bras. « Ne m’oublie pas, mon enfant. Mes
pensées voleront vers toi chaque jour et chaque nuit. Mon esprit te servira de
bouclier sur le champ de bataille, il guérira tes blessures, te frayera un
chemin dans la pénombre, combattra les influences malignes, chassera la fièvre.
Je t’aime, Alexandre, plus que tout au monde.
— Moi aussi, je t’aime, maman,
et je penserai à toi chaque jour. Maintenant saluons-nous, car je partirai
avant que l’aube ne se lève. »
Olympias l’embrassa sur les joues,
sur les yeux et la tête, elle le serrait contre sa poitrine comme s’il lui
était impossible de le quitter.
Alexandre se libéra doucement de
cette étreinte et dit à sa mère dans un dernier baiser : « Adieu,
maman. Prends soin de toi. »
De grosses larmes s’échappèrent des
yeux de la reine. Et c’est seulement lorsque les pas de son fils se furent
perdus au loin, dans les couloirs du palais, qu’elle parvint à murmurer :
« Adieu, Alexandre. »
Elle veilla toute la nuit afin de le
voir une dernière fois, de son balcon, enfiler son armure à la lumière des
torches, se coiffer de son casque à crête, ceindre son épée et empoigner son
bouclier, frappé de l’étoile d’or. Elle pouvait entendre Bucéphale hennir et
piaffer d’impatience, et Péritas lancer des aboiements désespérés en essayant
en vain de briser sa chaîne.
Elle l’observa ainsi, immobile,
tandis qu’il s’envolait sur son étalon. Et elle demeura là jusqu’à ce que le
dernier écho de son galop s’évanouisse dans le lointain, englouti par les
ténèbres.
49
L’amiral Néarque ordonna aux soldats de hisser l’étendard royal et
d’emboucher les trompettes, et la grande quinquérème s’ébranla, glissant
légèrement sur les eaux. Le gigantesque tambour de Chéronée avait été fixé au
centre du pont à la base du grand mât, et quatre hommes donnaient le rythme aux
rameurs en le frappant à l’aide de grandes massues enveloppées de cuir, de
telle sorte que son grondement, porté par le vent, résonnait aux oreilles de
tous les soldats dans le sillage du vaisseau amiral.
Alexandre se dressait à la proue,
dans une armure de lames d’argent, coiffé d’un casque du même métal en forme de
tête de lion à gueule ouverte. Il portait des jambières ciselées et une épée à
poignée d’ivoire qui avait appartenu à son père. Il serrait dans sa main droite
une lance de frêne, terminée par une pointe dorée qui brillait au soleil à
chacun de ses mouvements, comme la foudre de Zeus.
Le roi paraissait envoûté par son
rêve, il accueillait sur son visage la caresse du vent marin et celle de la
lumière limpide du soleil. Debout sur les cent cinquante navires qui
composaient la flotte, tous les soldats concentraient leur regard sur cette
silhouette étincelante à la proue du vaisseau amiral, semblable à la statue
d’un dieu.
Mais soudain, un bruit sembla tirer
le roi de sa torpeur. Il tendit l’oreille, balaya les environs d’un regard
inquiet. Néarque s’approcha. « Que se passe-t-il, sire ?
— Écoute, n’entends-tu
rien ? »
Néarque secoua la tête :
« Non, rien.
— Mais si, écoute. On dirait…
c’est impossible ! »
Il descendit du château de proue
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