Le Roman d'Alexandre le Grand
d’entre eux, même aux enfers. » Il
s’agenouilla, dégaina son épée, la pointa contre son cœur et se jeta dessus.
« Moi aussi », ajouta son
compagnon, en tirant lui aussi son arme.
« Nous aussi », dirent les
deux autres. Ils s’effondrèrent l’un après l’autre dans une mare de sang,
tandis que le premier chant du coq brisait le silence spectral de l’aube,
pareil à une sonnerie de trompe.
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Philippe, le médecin, exposa à Alexandre les résultats des examens
pratiqués sur le cadavre du Perse qu’on avait trouvé en possession de la lettre
du Grand Roi adressée au prince Amyntas.
« Il a certainement été
empoisonné, mais il s’agit d’un type de poison qui m’est inconnu. Voilà
pourquoi il me semble inutile d’interroger le cuisinier : c’est un brave
garçon, qui serait incapable de le préparer. J’ignorerais moi-même comment m’y
prendre, alors…
— Aurait-il pu s’administrer
lui-même ce poison ? demanda Alexandre.
— C’est possible. Il y a parmi
les gardes du Grand Roi des hommes qui jurent de le servir jusqu’au sacrifice
de leur vie. Je crains qu’il ne soit difficile d’en savoir plus sur cette
affaire, pour le moment. »
Plusieurs jours s’écoulèrent. Les
nouvelles des renforts en provenance de Macédoine n’arrivaient pas, et le moral
des soldats commença à se détériorer dans l’oisiveté et l’ennui. Un matin,
Alexandre décida de se rendre au sanctuaire de la Grande Mère des dieux, à
Gordion, que le roi Midas avait, disait-on, fondé.
Il était accompagné par ses amis et
par les prêtres qui, en apprenant sa visite, s’étaient réunis au grand complet
et avaient enfilé leurs parements de cérémonie.
Le temple était un ancien sanctuaire
indigène qui abritait une image de la déesse sculptée dans le bois et rongée
par les vers, ornée d’une incroyable quantité de joyaux et de talismans que les
fidèles offraient depuis de nombreux siècles. Des reliques et des présents
votifs de toutes sortes étaient accrochés aux murs. La plupart représentaient
des membres humains en terre cuite et en bois, qui témoignaient des guérisons
survenues ou des prières formulées pour les obtenir.
Il y avait là des pieds et des mains
sur lesquels on avait représenté les signes de la gale avec des couleurs vives,
des yeux, des nez et des oreilles, des utérus sans doute stériles qui
réclamaient la fertilité, et des membres virils qui n’étaient pas en mesure
d’assumer leurs fonctions.
Chacun de ces objets était le signe
des misères, des maladies et des souffrances qui affligeaient le genre humain
depuis l’origine des temps, après que Pandore eut bêtement ouvert la jarre d’où
s’échappèrent tous les maux qui envahirent le monde.
« Ne laissant au fond que l’espoir,
rappela Eumène en balayant le sanctuaire du regard. Et que sont tous ces objets
sinon la manifestation d’un espoir presque toujours déçu qui demeure pourtant
un précieux compagnon pour les hommes ? »
Frappé par autant de pédanterie
philosophique, Séleucos qui se tenait non loin de lui, le dévisagea d’un air
perplexe. Mais les prêtres les conduisaient déjà dans une chambre latérale, où
l’on conservait le vestige le plus précieux : le char du roi Midas.
Il s’agissait d’un étrange véhicule
à quatre roues d’un genre très primitif, muni d’une barrière semi-circulaire
dans la partie supérieure. Le système directeur se composait d’un timon qui
s’achevait par une barre reliée à l’essieu du train antérieur des roues ;
le joug était, quant à lui, fixé au timon par un filin entortillé en un nœud
inextricable.
Un ancien oracle disait que celui
qui déferait ce nœud dominerait l’Asie, et Alexandre avait décidé de se risquer
dans cette entreprise. Eumène, Ptolémée et Séleucos avaient insisté pour qu’il
s’y essaie.
« Tu ne peux pas t’en
dispenser, lui avait dit Eumène. Tout le monde a entendu parler de cet oracle,
et si tu évitais cette épreuve, on penserait que tu n’as pas confiance en toi,
que tu ne te sens pas capable de vaincre le Grand Roi.
— Eumène a raison, avait
approuvé Séleucos. Ce nœud est symbolique : il indique le croisement de
nombreuses routes et de nombreux caravaniers dans la ville de Gordion, des
voies qui conduisent aux confins extrêmes du monde. De fait, tu contrôles déjà
ce nœud car tu l’as conquis par la force des armes, mais tu dois
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