Le Roman d'Alexandre le Grand
fort, faisait claquer et
voler comme les voiles des navires au milieu d’une tempête.
Quand, à la tombée de la nuit, le
campement fut enfin prêt un orage éclata, apportant des trombes d’eau, des
éclairs aveuglants, des coups de tonnerre qui résonnaient sur les flancs des
montagnes.
Néarque avait abordé la terre à
temps. À grands coups de masse, ses équipages plantaient les amarres dans le
sable de la plage pour y assurer les cordages qu’on leur lançait depuis la
poupe.
La situation semblait enfin
maîtrisée, et l’état-major au complet se réunit sous la tente d’Alexandre pour
partager un maigre repas et discuter des plans prévus pour le lendemain.
L’heure du coucher s’approchait quand un courrier venu d’Issos se présenta,
trempé, couvert de boue et tout essoufflé, Les officiers se levèrent.
« Que se passe-t-il ?
interrogea Alexandre.
— Sire, commença l’homme dès
qu’il eut repris son souffle, l’armée de Darius est dans notre dos, à Issos.
— Quoi ? Es-tu soûl ?
s’écria le souverain.
— Hélas non. Ils ont fondu sur
nous au crépuscule, ont Surpris les sentinelles à l’extérieur de la ville et
ont fait prisonniers tous les soldats, malades ou convalescents, que nous
avions laissés derrière nous. »
Alexandre abattit son poing sur la
table. « Malédiction ! Nous allons être obligés de négocier leur
restitution avec Darius.
— Nous n’avons pas le choix,
dit Parménion.
— Comment se fait-il qu’ils
soient dans notre dos ? demanda Perdiccas.
— Ils n’ont pas pu passer par
ici, car nous y sommes, observa Séleucos d’une voix détachée, comme s’il
voulait ramener le calme dans l’assistance. Ni par la mer : Néarque les
aurait vus. »
Ptolémée s’approcha du courrier.
« Et si c’était un piège destiné à nous éloigner du passage et à donner au
Grand Roi le temps de monter sur les hauteurs, d’où il lui serait facile de
nous attaquer ? Je ne connais pas cet homme. Et vous ? »
Tout le monde examina le courrier,
qui recula d’un air effrayé.
« C’est la première fois que je
le vois, déclara Parménion.
— Moi aussi, confirma Cratère
en l’observant avec méfiance.
— Mais, sire…, implora le
courrier.
— As-tu un mot de passe à me
transmettre ? lui demanda Alexandre.
— Je… je n’ai pas eu le temps,
sire. Mon commandant m’a donné l’ordre de filer, j’ai sauté à cheval et je suis
parti.
— Et qui est ton
commandant ?
— Amyntas de Lyncestide. »
Sans un mot, Alexandre échangea un
regard complice avec Parménion. Au même instant, un éclair étincela si
violemment qu’il illumina la tente en jetant un reflet spectral sur les membres
de l’assistance. Un coup de tonnerre assourdissant retentit ensuite.
« Il n’y a qu’une façon de
connaître la vérité, dit Néarque dès que le tonnerre se fut éloigné vers la
mer.
— Laquelle ? interrogea le
roi.
— Je vais aller voir ce qui se
passe à l’arrière. Avec mon bateau.
— Tu es fou ! s’exclama
Ptolémée. Tu couleras !
— Ce n’est pas dit. Le vent
vient du sud : avec un peu de chance, je peux m’en tirer. Ne bougez pas
tant que je ne serai pas revenu, ou que je ne vous aurai pas envoyé un de mes
hommes. Mon mot de passe sera « Poséidon ». »
Il tira son manteau sur sa tête et
sortit en courant sous la pluie battante.
Alexandre et ses compagnons le
suivirent, des lanternes à la main. Néarque se hissa à bord du vaisseau amiral,
il donna l’ordre de larguer les amarres et de plonger les rames dans l’eau.
Bientôt, le bateau vira vers le nord. Tandis qu’il s’écartait de la plage, le
fantôme d’une voile s’ouvrit à la proue.
« Il est fou, grommela Ptolémée
en essayant de se protéger les yeux contre la pluie cinglante. Il a même
déployé une voile.
— Non, répliqua Eumène. C’est
le meilleur marin qui ait jamais navigué d’ici aux Colonnes d’Héraclès, et il
le sait. »
La tache blanche de la voile de
proue fut rapidement engloutie par les ténèbres et tout le monde retourna sous
la tente du roi pour se réchauffer devant le brasero avant d’aller se coucher.
Trop bouleversé pour dormir, Alexandre demeura un long moment sous l’auvent de
sa tente, contemplant la fureur de l’orage et jetant de temps à autre un coup
d’œil à Péritas qui glapissait plaintivement à chaque coup de tonnerre.
Soudain, il vit la foudre s’abattre sur un
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