Le Roman d'Alexandre le Grand
Granique.
« C’est tout ce que j’ai à vous
dire. Que les dieux nous soient favorables ! Maintenant, rejoignez l’armée
et mettez-la en rangs afin que je la passe en revue. »
Il faisait encore noir quand le roi,
monté sur Bucéphale, dans son armure de combat, la poitrine couverte d’une
cuirasse en fer et en argent ornée d’une gorgone de bronze repoussé à la
hauteur du cœur, harangua ses troupes. Il était flanqué de ses gardes du corps
et de ses compagnons : Héphestion, Lysimaque, Séleucos, Léonnatos,
Perdiccas, Ptolémée et Cratère, tous revêtus de fer et de bronze, coiffés de
casques dont les hauts cimiers flottaient dans le vent froid de ce matin
d’automne.
« Soldats ! s’écria-t-il.
Pour la première fois depuis que nous avons pénétré en Asie, nous faisons face
à l’armée perse que conduit le Grand Roi en personne. Il nous a pris à revers
et son armée coupe nos arrières. Il pense certainement longer la côte et nous
écraser contre ces montagnes, en se fiant à sa supériorité numérique. Mais nous
ne l’attendrons pas, nous l’affronterons, nous le surprendrons dans un défilé
et nous le vaincrons. Nous n’avons pas le choix, soldats ! Si nous ne
gagnons pas, nous serons anéantis. Souvenez-vous d’une chose ! Le Grand
Roi se place toujours au centre de sa formation. Si nous parvenons à le tuer ou
à le capturer, nous gagnerons la guerre et conquerrons son empire en un seul
instant. Et maintenant, faites-moi entendre votre voix, soldats !
Faites-moi entendre le fracas de vos armes ! »
L’armée répondit par un grondement,
puis les officiers et les soldats dégainèrent leurs épées et commencèrent à en
frapper en rythme leurs boucliers, répandant dans la plaine un vacarme
assourdissant. Alexandre brandit sa lance et poussa Bucéphale, qui avança de
son pas majestueux, flanqué d’autres cavaliers en armures. Derrière eux
retentirent bientôt le pas lourd et cadencé de la phalange et le bruit de
milliers de sabots.
Ils se dirigèrent vers le nord et
marchèrent sans rencontrer d’obstacles. Mais vers le milieu de la matinée, un
groupe d’éclaireurs, parti en reconnaissance, revint au galop.
« Sire, s’écria leur commandant
d’un air horrifié, les barbares nous ont renvoyé les hommes que nous avions
laissés à Issos. »
Alexandre le regarda sans
comprendre.
« Ils les ont tous mutilés,
sire, ils leur ont coupé les mains. Nombre d’entre eux sont morts d’hémorragie,
d’autres se traînent péniblement sur la route en poussant des gémissements et
des cris de douleur. C’est épouvantable. »
Le souverain alla au-devant de ses
soldats. En le voyant ceux-ci tendirent leurs bras sanguinolents, des moignons
bandés à l’aide de chiffons crasseux.
Le visage du roi se déforma en une
grimace d’horreur. Il sauta à terre et, criant et pleurant, comme hors de lui,
se mit à les embrasser un à un.
Un vétéran se traîna à ses pieds
pour lui parler, mais ses forces s’éteignirent et il s’effondra, mourant, dans
la boue.
Alexandre hurla :
« Appelez Philippe, appelez les médecins, vite ! Vite ! Qu’ils
soignent ces hommes ! » Puis, à l’adresse de ses troupes :
« Regardez ce que les Perses ont fait à vos compagnons ! Maintenant vous
savez ce qui vous attend si nous sommes battus. Nous n’aurons pas de repos tant
que nous n’aurons pas vengé ce massacre. »
Philippe vola au secours des
blessés, il les fit monter sur des chars qui les ramèneraient au camp, puis il
rejoignit l’armée, sachant qu’on aurait besoin de ses soins avant que le soleil
ne se couche.
L’armée de Darius apparut vers midi,
alignée en un vaste front sur la rive nord du fleuve Pinaros. C’était un
spectacle impressionnant : il y avait là deux cent mille guerriers au
moins, en ligne de combat sur plusieurs rangs, précédés par des chars de guerre
dont les roues étaient garnies de faux menaçantes. Ils étaient flanqués de
cavaliers mèdes, cissiens, saces et hyrcaniens ; au centre, derrière les
chars, se trouvait l’infanterie des Immortels, la garde de Darius, avec ses
carquois d’argent, ses lances à pointes dorées et ses longs arcs à double
courbure.
« Dieux de l’Olympe, combien
sont-ils ! » s’exclama Lysimaque.
Alexandre ne dit rien, il scrutait
le centre de la formation ennemie à la recherche du char de guerre du Grand
Roi. Ptolémée le tira de sa torpeur.
« Regarde ! Les
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