Le Roman d'Alexandre le Grand
Soles.
— Je le sais, il est le seul à
avoir un mot de passe aussi stupide. Pourquoi l’autre courrier n’est-il pas
venu ? C’est la première fois que je te vois.
— L’autre courrier s’est blessé
en tombant de cheval.
— Que dois-tu me dire ?
— Des choses importantes, mon
seigneur. Le Grand Roi est proche désormais, Eumolpos est parvenu à corrompre
un aide de camp de Darius et à savoir où se déroulera la bataille par laquelle
il entend t’anéantir.
— Où ? »
Le courrier balaya la pièce du
regard, puis il avisa sur un chevalet la carte dont Alexandre ne se séparait
jamais. Il pointa le doigt sur la plaine entre le mont Carmel et le mont
Amanus. « Ici, dit-il. Aux Portes syriennes. »
47
La nouvelle se répandit dans le camp comme un éclair semant la panique.
« Le roi est mort ! Le roi est mort !
— De quoi ?
— Il s’est noyé !
— Non, on l’a empoisonné.
— Un espion perse.
— Et où est-il ?
— On l’ignore. Il s’est enfui.
— Alors, suivons-le. De quel
côté est-il parti ?
— Attendez !
Attendez ! Voici Héphestion et Ptolémée !
— Il y aussi Philippe, le
médecin du roi.
— Alors, il n’est pas
mort !
— Qu’est-ce que j’en sais,
moi ? On m’a dit qu’il était mort. »
Les soldats se pressèrent aussitôt
autour des trois hommes, qui tentaient de se frayer un chemin en direction de
l’entrée du campement.
Un groupe d’« écuyers » de
la garde se rangea pour leur permettre de parcourir rapidement cette distance.
« Que s’est-il passé ?
demanda le médecin.
— Nous venions juste de
déjeuner, commença Héphestion.
— Il faisait une chaleur
insupportable, continua Ptolémée.
— Aviez-vous bu ?
interrogea Philippe.
— Le roi était de bonne humeur,
il a avalé la « coupe ».
— Une demi-amphore de vin,
grommela le médecin.
— Oui, admit Ptolémée. Puis il
a dit qu’il ne supportait plus cette chaleur et, apercevant les eaux courantes
du Cydnos à travers la fenêtre, il s’est écrié : « Je vais me
baigner ! »
— Alors qu’il était en nage et
l’estomac plein ? », s’exclama Philippe, hors de lui.
Ils montèrent à cheval et
s’élancèrent au galop vers le fleuve, situé à deux stades de là.
Le souverain gisait sur le sol, à
l’ombre d’un figuier. On l’avait étendu sur une natte et recouvert d’un
manteau. Son teint était terreux, ses yeux ourlés de cernes noirs et ses ongles
bleuâtres.
« Malédiction ! hurla
Philippe en sautant à terre. Pourquoi ne l’avez-vous pas retenu ? Cet
homme est plus mort que vif. Écartez-vous ! Écartez-vous !
— Mais nous… », balbutia
Héphestion.
Il ne parvint pas à terminer sa
phrase. Il se tourna vers le tronc d’un arbre pour dissimuler ses larmes.
Le médecin déshabilla Alexandre. Il
appuya son oreille contre la poitrine du roi : il entendit les battements
de son cœur, faibles et irréguliers, et le recouvrit aussitôt.
« Vite ! ordonna-t-il à l’un des « écuyers ». Cours chez le
roi, dis à Leptine de préparer un bain brûlant, de mettre de l’eau sur le feu
et de dissoudre les herbes que voici selon les proportions exactes que je vais
indiquer. » Il tira une tablette et un stylet de son sac avant d’y
griffonner rapidement une ordonnance. « Va ! Cours aussi vite que le
vent ! »
Héphestion s’avança. « Et nous,
que pouvons-nous faire ?
— Préparez immédiatement un
treillis de roseaux que vous fixerez au harnachement de deux chevaux de somme.
Nous devons le ramener au camp. »
Les soldats dégainèrent leurs épées
et coupèrent des roseaux sur la rive du fleuve, exécutant les ordres qu’on leur
avait donnés. Quand ils eurent fabriqué la civière, ils soulevèrent
délicatement le roi et l’y allongèrent, puis ils étendirent le manteau sur lui.
Le petit cortège s’ébranla sous les
ordres d’Héphestion, qui tenait les deux chevaux par les rênes pour régler leur
allure.
Leptine les accueillit, les yeux
écarquillés et pleins d’angoisse, sans oser poser de question ; un coup
d’œil lui suffit pour appréhender la situation. Suivie par les porteurs, elle
gagna en toute hâte la salle de bains en se mordant les lèvres pour ne pas
pleurer.
Le roi ne donnait aucun signe de
vie. À présent, ses lèvres étaient blêmes et ses ongles presque noirs.
Héphestion s’agenouilla et le prit
dans ses bras : la tête et les
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