Le Roman d'Alexandre le Grand
chêne au sommet d’une colline.
Le gigantesque tronc s’enflamma. Un
instant, Alexandre aperçut dans le reflet des flammes le manteau blanc
d’Aristandre et la silhouette du devin, immobile dans le vent et la pluie, les
mains levées vers le ciel. Le souverain fut secoué par un long frisson glacé,
et il eut l’impression d’entendre les cris de nombreux agonisants, la plainte
désolée de nombreuses âmes fuyant vers les enfers. Puis son esprit sombra dans une
sorte d’inconscience.
L’orage se déchaîna pendant toute la
nuit. Au matin, les nuages furent balayés par le vent, laissant place à
quelques trouées de ciel bleu. Quand le soleil se montra enfin sur les pics du
Taurus, le calme était revenu et la mer venait se briser sur la plage en
longues vagues ourlées d’écume.
Il n’était pas midi quand revinrent
les éclaireurs que le roi avait envoyés vers le passage des Portes
syriennes : « Sire, il n’y a personne là-bas, personne dans la plaine
non plus.
— Je ne comprends pas, dit le
roi. Je ne comprends pas. Même les « Dix Mille » empruntèrent ce
passage. Il n’y en a pas d’autre… »
La réponse qu’il cherchait arriva
avec le vaisseau de Néarque, à la tombée du soir : ses hommes s’étaient
brisé l’échine en luttant contre le vent, près de la côte, pour apporter au
souverain la nouvelle qu’il attendait. Dès que le bateau fut annoncé, le roi se
précipita sur la plage pour accueillir l’amiral, qui regagnait la terre ferme
dans une chaloupe.
« Alors ? lui demanda-t-il
quand il eut posé le pied sur le sol.
— Hélas. Ton courrier t’a dit
la vérité. Ils se trouvent dans notre dos, et ils sont des centaines de
milliers. Ils ont des chevaux, des chars de guerre, des archers, des frondeurs,
des lanciers…
— Mais comment…
— Il y a un autre
passage : les Portes amaniennes, à vingt-cinq stades vers le nord.
— Eumolpos s’est joué de
nous ! pesta Alexandre. Il nous a attirés dans ce boyau entre la mer et
les montagnes pendant que Darius descendait dans notre dos en se glissant entre
la Macédoine et nous.
— Rien ne dit qu’il l’ait fait
de son propre chef, observa Parménion. Il a peut-être été démasqué et obligé de
nous trahir, à moins que Darius n’ait espéré te surprendre encore dans ton lit
de malade à Tarse.
— Cela ne change rien à notre
situation, commenta Ptolémée.
— Eh oui, renchérit Séleucos.
Nous sommes dans le pétrin.
— Comment réagir ? »
demanda Léonnatos en levant son visage couvert de taches de rousseur qu’il
avait jusque-là penché sur sa poitrine.
Alexandre réfléchit un moment avant
de répondre : « À l’heure qu’il est, Darius sait probablement où nous
nous trouvons. Si nous restons ici, il nous taillera en pièces. »
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Alexandre convoqua le conseil sous sa tente avant le lever du jour. Il
avait très peu dormi, mais il semblait lucide et en parfaite condition
physique.
Il exposa son plan en quelques
mots : « Mes amis, l’armée perse nous surpasse largement en nombre et
il est donc nécessaire de quitter ces lieux, où nous sommes trop exposés.
Derrière nous s’étend une vaste plaine, et devant nous se dressent des
montagnes. Darius nous écraserait après nous avoir complètement encerclés. Nous
devons donc reculer et l’affronter sur un terrain étroit, où il lui sera
impossible de déployer toutes ses forces.
« Il ne s’attend pas à ce mouvement,
ce qui nous permettra de le surprendre. Vous rappelez-vous le lieu où le fleuve
Pinaros se jette dans la mer ? Eh bien, ce pourrait être le bon endroit.
Les officiers responsables de la marche me disent que dix ou douze stades, pas
plus, séparent la mer des collines mais que le terrain libre de tout obstacle a
une largeur inférieure à trois stades. Cela nous convient. La formation que
nous adopterons sera celle qui est la plus sûre : au centre, les
bataillons de la phalange des pézétairoï et les alliés grecs ; à droite,
du côté des collines, les escadrons de cavalerie des hétairoï, dont je prendrai
la tête avec la Pointe ; sur l’aile gauche, le général Parménion nous
couvrira du côté de la mer avec le reste de l’infanterie lourde et la cavalerie
des Thessaliens. Les Thraces et les Agrianes seront avec moi, ils constitueront
la seconde ligne de réserve.
« La phalange attaquera de
front et la cavalerie sur les côtés, comme à Chéronée, comme sur le
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