Le Roman d'Alexandre le Grand
bras du roi retombèrent comme ceux d’un
cadavre.
Philippe s’approcha :
« Mettez-le dans la baignoire. Doucement. Plongez-le
progressivement. »
Héphestion marmonna quelque chose
entre ses dents, conjurant le mauvais sort, ou le maudissant.
Tous les compagnons s’étaient
réunis. Ils entouraient maintenant le roi en se tenant un peu à distance pour
ne pas entraver le travail de Philippe.
« Je lui avais dit de ne pas se
jeter à l’eau, alors qu’il transpirait et qu’il avait le ventre plein, mais il
n’a pas voulu m’écouter, murmura Léonnatos à Perdiccas. Il a répondu qu’il
l’avait déjà fait mille fois et qu’il ne lui était jamais rien arrivé.
— Il y a toujours une première
fois, répliqua Philippe en se retournant. Vous êtes des vauriens, des voyous.
Quand comprendrez-vous que vous êtes désormais des adultes, que vous avez la
responsabilité d’une nation ? Pourquoi ne l’avez-vous pas retenu ?
Pourquoi ?
— Mais nous avons essayé…, dit
Lysimaque pour se justifier.
— Mon œil ! Soyez maudits,
tous autant que vous êtes ! jura Philippe entre ses dents tout en
commençant à masser le corps du roi. Savez-vous pourquoi cet accident s’est
produit, hein ? Le savez-vous ? Bien sûr que non, évidemment. »
Les compagnons du roi le regardaient, tête basse, comme des enfants intimidés
par leur précepteur. « Ce fleuve est issu de la fonte des neiges du
Taurus, mais son parcours est tellement bref que ses eaux n’ont pas le temps de
se réchauffer. Elles sont encore glacées quand elles se jettent dans la mer.
C’est comme si Alexandre s’était enseveli tout nu dans la neige ! »
Leptine s’était agenouillée devant
la baignoire, attendant les ordres de Philippe.
« Bien, aide-moi. Masse-le
comme ça, de l’estomac vers la poitrine, tout doucement. Essayons de remettre
en route sa digestion. »
Héphestion s’approcha et pointa son
doigt vers lui : « Écoute, c’est le roi, il fait donc ce qu’il veut
et personne ne peut l’en empêcher. Toi, en revanche, tu es médecin, et tu es
censé le guérir. Tu as compris ? Tu dois le guérir, un point c’est
tout ! »
Philippe planta son regard dans le
sien. « Ne me parle pas sur ce ton : je ne suis pas ton domestique.
Je fais ce que je dois faire, et de la façon qu’il me plaît, c’est clair ?
Et maintenant, fichez le camp ! » Et il ajouta tandis que les compagnons
s’éloignaient : « J’ai besoin de l’aide d’un d’entre vous, d’un
seul. »
Héphestion fit volte-face.
« Puis-je rester ?
— Oui, grommela Philippe. Mais
assieds-toi sur cette chaise et prends garde de ne pas m’énerver. »
Le roi avait repris un peu de couleur,
il était toutefois inconscient et n’ouvrait pas les yeux.
« Il faut le vider, affirma
Philippe. Immédiatement. Sinon, il ne s’en tirera pas. Leptine, as-tu préparé
le remède que je t’ai demandé ?
— Oui.
— Alors apporte-le-moi. »
La jeune fille revint avec un flacon
rempli d’un liquide vert vif.
« Bien. Maintenant, aidez-moi,
ordonna Philippe. Toi, Héphestion, ouvre-lui la bouche : il faut qu’il
avale cette décoction. »
Héphestion s’exécuta et le médecin
versa le remède goutte à goutte dans la bouche d’Alexandre.
Au bout d’un moment, le souverain
tressaillit et eut un violent haut-le-cœur.
« Que lui as-tu donné ?
demanda Leptine avec effroi.
— Un vomitif qui est en train
d’agir, ainsi qu’un remède qui fait réagir son organisme, déjà résigné à la
mort. »
Alexandre vomit longuement tandis
que Leptine lui tenait le front et que les domestiques, rapidement accourus,
nettoyaient le sol sous la baignoire. Puis le souverain fut pris de
convulsions, qui secouèrent sa poitrine dans des râles et des gémissements.
Philippe lui avait administré un
médicament puissant : il provoqua chez son patient une réaction violente
qui l’affaiblit considérablement. Alexandre s’en tira, mais il dut affronter
une longue convalescence, ponctuée de fréquentes rechutes et de fièvres qui le
consumaient lentement pendant des journée entières.
Plusieurs mois s’écoulèrent avant
que son état ne s’améliore. Pendant ce temps, les hommes se décourageaient, ils
disaient que le roi était mort et que personne n’osait le leur apprendre !
Enfin, au début de l’automne, Alexandre put se lever et rassurer ses troupes
par sa présence. Il regagna ensuite son
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