Le Roman d'Alexandre le Grand
soldats et des officiers d’Alexandre.
Le roi les accueillit, pour sa part, avec grande humanité ; il s’intéressa
à leur sort et à leurs cas particuliers, et voulut qu’on les traitât avec
respect.
Alors qu’on pensait que tout le cortège
avait déjà défilé devant le souverain et ses compagnons, un petit groupe se
présenta, escorté par un escadron d’Agrianes.
« Nous avons trouvé ces hommes
dans le quartier général du satrape de Syrie, expliqua l’officier qui
commandait le détachement.
— Mais je connais
celui-ci ! observa Séleucos en indiquant un homme corpulent, dont la tête
chauve était couronnée de rares cheveux gris.
— Eumolpos de Soles !
s’exclama Ptolémée ! Quelle surprise !
— Mes seigneurs, sire !
s’écria l’informateur en se prosternant devant eux.
— Voyons, voyons… Je me demande
pourquoi je me sens brusquement soupçonneux…, ironisa Perdiccas.
— Moi aussi, intervint
Séleucos. Voilà comment Darius a réussi à nous surprendre à Issos. Dis-moi,
Eumolpos, combien t’a-t-on donné pour nous trahir ? »
Blanc comme un linge, l’homme
tentait d’esquisser un petit sourire crispé. « Mais, sire, mes seigneurs,
vous ne croyez tout de même pas que j’ai pu…
— Bien sûr que si, interrompit
l’officier chargé de sa surveillance en s’adressant à Alexandre. Le satrape de
Syrie, qui ne va pas tarder à se présenter pour te jurer fidélité, me l’a
affirmé.
— Conduisez-le à
l’intérieur ! ordonna le roi en entrant sous sa tente. Il va être jugé
immédiatement. »
Alexandre prit place parmi ses
compagnons et demanda à l’informateur : « As-tu quelque chose à dire
avant de mourir ? »
Eumolpos baissa les yeux et
s’abstint de répondre. Ce silence le revêtit d’une dignité inattendue : ce
n’était plus l’homme hilare, toujours prêt à plaisanter, que l’on connaissait.
« N’as-tu rien à dire ?
répéta Eumène. Comment as-tu pu nous trahir ? Ils ont failli nous tailler
en pièces ! Le message de ton courrier nous a attirés dans un piège sans
issue.
— Tu n’es qu’un porc !
pesta Léonnatos. Si je devais décider de ton sort, tu ne t’en tirerais pas avec
une mort rapide. Je commencerais par te faire arracher tous les ongles,
puis… »
Eumolpos leva son regard humide vers
ses juges.
« Alors ? dit Alexandre.
— Sire, commença l’informateur,
j’ai toujours été espion. Quand j’étais petit, je gagnais ma vie en filant les
femmes infidèles pour le compte des maris trompés. C’est tout ce que je sais
faire. Et j’ai toujours cherché les faveurs de ceux qui me payaient le mieux.
Mais…
— Mais ? insista Eumène
qui s’était adjugé le rôle de l’inquisiteur.
— Mais quand je suis entré au
service de ton père, le roi Philippe, je n’ai plus espionné que pour son
compte, je le jure. Sais-tu pourquoi, mon seigneur ? Parce que ton père
était un homme extraordinaire. Oh, bien sûr, il me payait bien ! Mais il
ne s’agissait pas seulement de ça. Quand je le rencontrais pour faire mon
rapport, il m’invitait à m’asseoir comme un vieil ami, il me versait lui-même à
boire, il me demandait comment je me portais, et ainsi de suite, tu
comprends ?
— Que veux-tu dire ? Me
suis-je mal comporté à ton égard ? demanda Alexandre. Ne t’ai-je pas
traité, moi aussi, comme un vieil ami, plutôt que comme un espion
soudoyé ?
— C’est vrai, admit Eumolpos,
et c’est pourquoi je t’ai été fidèle. Mais je l’aurais été de toute façon, ne
serait-ce que parce que tu es le fils de ton père.
— Alors, pourquoi m’as-tu
trahi ? On ne trahit pas un vieil ami sans raison !
— La peur, mon seigneur. Le
satrape qui s’apprête à te jurer fidélité au mépris de la parole qu’il a donnée
à son roi m’a épouvanté en dévorant une grive devant moi d’un air de
dire : « Voici la fin qui t’attend : tu seras dévoré morceau par
morceau, comme cette grive. » Après quoi il m’a amené à sa fenêtre pour
voir ce qui se passait dans la cour.
« Il y avait là mon courrier,
le brave garçon que je t’envoyais régulièrement : on l’avait écorché vif,
on l’avait émasculé et on avait mis ses couilles autour de son cou. » Sa
voix tremblait, et ses yeux aqueux de vieux poisson s’étaient remplis de
véritables larmes. « On avait arraché sa chair jusqu’à l’os… Et ce n’est
pas fini. Non loin de là,
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