Le Roman d'Alexandre le Grand
la tour, le ciel, à présent aussi noir que la poix, fut déchiré par
un éclair éblouissant qui illumina la pâleur spectrale des crucifiés, l’armure
dorée d’Alexandre et la tache vermeille de son étendard.
Dès qu’un pont eut été jeté sur le
chemin de ronde, le roi se lança à l’attaque, flanqué de Léonnatos, qui
brandissait une hache, d’Héphestion, épée au poing, de Perdiccas, armé d’une
énorme lance, de Ptolémée et de Cratère, dont les cuirasses de fer étincelaient
dans cette lumière. Reconnaissant sa splendide armure, son panache blanc et son
étendard rouge et doré, les archers concentrèrent leur tir sur le souverain
macédonien tandis que les défenseurs se rassemblaient pour fondre sur lui.
Désireux de montrer son courage au roi, l’un des attaquants, un Lyncestide du
nom d’Admète, se précipita vers eux, mais il fut bientôt fauché. Alors,
Alexandre brandit son épée en effectuant des moulinets et abattit ses ennemis à
grands coups de bouclier. Pendant ce temps, Léonnatos se démenait avec une
hache sur son flanc droit.
Sautant sur le chemin de ronde, le
souverain précipitait déjà un Tyrien dans le vide, en transperçait un autre du
menton à l’aine, en projetait un troisième sur les toits des maisons, tandis
que Perdiccas en soulevait un quatrième sur le bout de sa lance comme un
poisson harponné et le lançait sur ses adversaires. Alexandre hurlait de plus
en plus fort, entraînant dans son sillage le fleuve en crue de ses soldats, et
sa fureur se déchaînait, comme nourrie par la force des éclairs et du tonnerre
qui secouaient ciel et terre jusqu’aux abîmes. D’un élan irrépressible, il
progressait sur le chemin de ronde, courait maintenant, indifférent à la pluie
de flèches et de projectiles d’acier que les catapultes décochaient, courait
vers la croix de Léonidas, à quelques pas désormais. Les défenseurs se
soudèrent entre eux pour l’empêcher de passer, mais il les balaya l’un après
l’autre, comme des pantins, tandis que Léonnatos assenait des coups d’une
violence démesurée, faisant jaillir des cascades d’étincelles sur les boucliers
et les casques, désintégrant les épées et les lances.
Enfin le roi arriva au pied de la
croix, où l’ennemi avait placé une catapulte gouvernée par des artilleurs. Il
s’écria : « Emparez-vous de la catapulte, et tournez-la contre les
autres ! Descendez cet homme de sa croix ! Vite ! » Alors
que ses compagnons prenaient possession de la plate-forme, il aperçut une
caisse d’outils. Il abandonna son bouclier sur le sol et en tira une paire de
tenailles.
Le voyant désarmé, l’un des ennemis
tendit la corde de son arc à vingt pas de lui. C’est alors qu’une voix résonna
au même instant à l’oreille du roi, la voix de sa mère, empreinte d’angoisse,
qui l’appelait :
Alexandre !
Comme par miracle, le roi se rendit
compte du danger qui le menaçait. Avec une rapidité foudroyante, il s’empara du
poignard qu’il portait à sa ceinture et le lança sur l’archer. L’arme se ficha
à la base de son cou.
Réunissant leurs boucliers, ses
compagnons firent un mur autour de lui. Il put ainsi arracher les clous des
membres torturés de son maître, il prit dans ses bras son corps nu et
squelettique, puis l’allongea sur le sol. Au même instant, il revit les membres
nus d’un autre vieillard, rencontré au cours d’un après-midi ensoleillé à
Corinthe, Diogène, le sage aux yeux sereins, et son âme se brisa dans sa
poitrine. Il murmura : « Didaskale… » Alors, la faible vie de
Léonidas eut un dernier sursaut, et le maître ouvrit les yeux.
« Mon enfant, je n’ai pas
réussi… », dit-il avant de s’affaisser, inanimé dans ses bras.
Le ciel se déchira au-dessus de la
ville, il déversa une pluie battante, une tempête de vent et de grêle, sur la
mer, la terre et la petite île, remplie de cris et de sang. Mais la fureur
guerrière ne s’éteignit pas pour autant : à l’extérieur du port, dans les
eaux bouillonnantes, la flotte tyrienne affrontait en un duel désespéré les
puissantes quinquérèmes de Néarque ; à l’intérieur des murs, les
défenseurs se retranchaient dans les maisons et dans les rues, combattant
devant les portes mêmes de leurs demeures jusqu’au dernier souffle de vie.
Vers le soir, quand le soleil ouvrit
une brèche dans les nuages, éclairant les eaux livides, les murs endommagés,
les restes des
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