Le Roman d'Alexandre le Grand
de chemins. Les sentiers
étant tous deux couverts d’empreintes de sabots, Alexandre choisit au hasard sa
direction mais il pénétra bien vite dans des lieux solitaires et déserts
totalement inconnus de lui.
Il faisait de plus en plus noir, et
le vent du nord commençait à souffler. Transi de froid, Léonidas s’était
enveloppé du mieux qu’il le pouvait dans son petit manteau de laine brute. Le
voyant aussi blême, les yeux las et remplis de larmes, Alexandre se sentit
gagner par une profonde compassion. Dans ce vent glacial, le pauvre vieillard
qui avait franchi la mer pour le revoir n’avait aucune chance de survivre. À
l’évidence, ils s’étaient engagés dans le mauvais sentier, mais il était trop
tard pour rebrousser chemin, d’autant qu’il n’y avait plus de visibilité. Il
lui fallait allumer un feu sans tarder, mais comment ? Il n’y avait pas de
bois sec dans les parages : les branchages étaient tous couverts de neige,
et le temps se gâtait.
Soudain, il aperçut des flammes qui
brûlaient non loin de là, et bientôt d’autres encore. Il dit :
« Maître, reste ici, je reviens dans un instant. Je te laisse
Bucéphale. »
L’étalon s’ébroua en guise de
protestation, mais il se résigna à cet abandon, et le roi put ramper dans la
nuit jusqu’aux feux. Des guerriers ennemis, qui entendaient se réchauffer et
cuire leur repas du soir, les avaient allumés.
Alexandre s’approcha d’un cuisinier,
qui enfilait un morceau de viande sur une broche. Il attendit qu’il s’éloigne
un instant pour courir vers le bûcher, s’emparer d’un tison et le cacher sous
son manteau. Mais, en retournant sur ses pas, il marcha sur des branches
brisées, qui émirent sous ses pieds un bruit sec. L’un des guerriers s’écria :
« Qui va là ? » avant de dégainer son épée et de marcher vers
l’arbre derrière lequel l’intrus s’était caché. Les yeux embués et rougis par
la fumée, Alexandre retenait son souffle pour éviter de tousser ou d’éternuer.
Par chance, un autre soldat, qui s’était écarté afin de satisfaire ses besoins
naturels, revint au même instant vers le bivouac.
« Ah, c’est toi, dit le
premier, à quelques pas d’Alexandre. Allons-y, c’est presque prêt. »
Le roi se faufila dans la nuit le
plus discrètement possible et, muni du tison fumant, retrouva le sentier où il
avait laissé son maître. Il commençait à neiger, et la morsure du vent était
maintenant aussi féroce que celle d’une épée. Nul doute que le vieillard devait
être à bout de forces.
Il le rejoignit bientôt. « Me
voici, didaskale. Je t’ai apporté un cadeau », dit-il en montrant le
tison. Ayant déniché un abri sous un rocher, il entreprit de souffler sur le
tison jusqu’à en ranimer la flamme. Il ajouta ensuite quelques ramilles et des
morceaux de bois, et finit par obtenir plus de braise que de fumée, ainsi
qu’une chaleur suffisante.
Léonidas reprit vite un peu de
couleur et de vitalité. Alexandre tira alors un bout de pain de sa besace, il
le rompit à l’intention de son maître édenté et s’assit à côté de lui, près du
feu.
« Alors, fiston, dit Léonidas
tout en mâchant. Est-il vrai que tu t’es emparé des armes d’Achille ? Le
bouclier correspond-il à la description qu’Homère en a faite ? Et
Halicarnasse ? On dit que le Mausolée est aussi grand que le Parthénon et
que le temple d’Héra empilés l’un sur l’autre, est-ce possible ? Et
l’Halys ? Toi, tu l’as vu, fiston. J’ai du mal à croire, pour ma part,
qu’il est trois fois plus large que notre Haliacmon, mais comme je le disais,
tu l’as vu, et tu connais donc la vérité. Et les Amazones ? Est-il vrai
que la reine Penthésilée est enterrée près de l’Halys ? Je me demandais
aussi si les Portes de Cilicie étaient aussi étroites qu’on le dit et…
— Didaskale, interrompit
Alexandre, tu veux savoir beaucoup de choses. Il vaut mieux que je réponde à
tes questions l’une après l’autre. En ce qui concerne les armes d’Achille,
voici comment les choses se sont passées… »
Il parla à son maître toute la nuit
et partagea avec lui son manteau, après avoir risqué sa vie pour le protéger
contre le froid de la montagne. Le lendemain, les deux hommes retrouvèrent les
soldats, sains et saufs, et Alexandre demanda à Léonidas de rester : il ne
voulait pas l’exposer aux risques d’une traversée hivernale. Il repartirait à
la
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