Le Roman d'Alexandre le Grand
didaskale. C’est une entreprise très dangereuse, et je
refuse de t’exposer inutilement à… »
Les mains sur les hanches, Léonidas
s’écria : « Inutilement ! Tu ne sais pas ce que tu dis,
fiston : cette mission n’a aucune chance d’aboutir si le vieux Léonidas
n’en fait pas partie. Oui, Léonidas, l’homme le plus habile et le plus
expérimenté dont tu disposes. Permets-moi d’ajouter qu’à l’époque où tu
mouillais encore ton lit, ton père – que son nom puisse vivre éternellement –
m’a envoyé en ambassade chez les féroces et barbares Triballes, et que je les
ai apprivoisés sans coup férir. Lis-tu encore l’Iliade ?
— Bien sûr, didaskale, répondit
le roi. Tous les soirs.
— Et alors ? Qui Achille
envoya-t-il en ambassade à la tête des Achéens ? Ne s’agit-il pas de son
vieux maître Phénix ? Et vu que tu es le nouvel Achille, il va sans dire
que je suis le nouveau Phénix. Laisse-moi y aller, je t’en prie, et je te
garantis que je ramènerai à la raison ces maudits entêtés. »
Léonidas était si déterminé
qu’Alexandre n’eut pas le courage de lui refuser ce moment de gloire. Aussi lui
confia-t-il cette tâche. Il envoya le groupe des ambassadeurs dans un bateau
portant les insignes de la trêve afin de négocier la reddition de la ville, et
il s’enferma sous sa tente, à l’extrémité de la jetée, pour attendre dans
l’anxiété l’issue de cette mission. Mais les heures s’écoulaient, et rien ne se
produisait.
Aux environs de midi, Ptolémée
pénétra sous sa tente, l’air très sombre.
« Alors ? demanda
Alexandre. Qu’ont-ils répondu ? »
Ptolémée lui fit signe de le suivre
à l’extérieur et lui indiqua les tours les plus hautes, qui dominaient
l’enceinte de Tyr. À leur sommet se dressaient cinq croix, sur lesquelles
étaient cloués cinq corps ensanglantés. On pouvait distinguer facilement celui
de Léonidas en raison de sa tête chauve et de ses membres squelettiques.
« Ils les ont torturés et
crucifiés », dit-il.
À cette vue, Alexandre fut saisi de
stupeur et comme paralysé. Tandis que des nuages noirs se pressaient dans le
ciel, son regard s’assombrit et son œil gauche se transforma en un abîme de
ténèbres.
Soudain, il lança un cri inhumain,
qui semblait monter de ses entrailles. La colère furibonde de Philippe et la
férocité barbare d’Olympias se déchaînèrent au même instant dans son âme,
libérant une fureur aveugle. Mais le roi retrouva bientôt son calme, un calme
aussi sombre et aussi inquiétant que celui du ciel avant la tempête.
Il convoqua Héphestion et Ptolémée.
« Mes armes ! », ordonna-t-il. Et Ptolémée appela ses
ordonnances, qui accoururent aussitôt en s’écriant : « À tes ordres,
sire ! » Elles le revêtirent de sa plus belle armure et lui apportèrent
l’étendard royal, frappé de l’étoile argéade.
« Trompettes ! ordonna
encore une fois Alexandre. Donnez le signal d’attaque à toutes les
tours. »
Les trompettes sonnèrent, et bientôt
le fracas des béliers qui sapaient la muraille et le sifflement des projectiles
lancés par les catapultes et les balistes retentirent dans toute la baie. Alors
le roi se tourna vers son amiral. « Néarque ! cria-t-il.
— À tes ordres,
sire ! »
Alexandre lui montra l’une des tours
d’assaut, celle qui était la plus proche des murs. « Conduis-moi sur cette
plate-forme. Mais d’abord, ordonne à ta flotte de sortir, glisse-toi dans les
ports et coule tous les navires que tu rencontreras. »
Néarque scruta le ciel, qui était de
plus en plus noir, avant de rejoindre la quinquérème amirale avec le roi et ses
compagnons. Il transmit aussitôt l’ordre d’amener les voiles et de démâter,
puis il hissa l’étendard de combat et largua les amarres. Le grondement des
tambours, qui battaient le rythme à l’unisson, s’échappa des cent navires, et
la mer bouillonna sous la force du vent et les coups de milliers de rames.
Le vaisseau amiral atteignit la
plate-forme sous une pluie de projectiles. Alexandre sauta sur le parapet,
suivi de ses compagnons. Ils se glissèrent dans la tour, gravissant à toute
allure l’escalier qui reliait les étages, dans un enfer de poussière et de
cris, dans le fracas assourdissant des béliers, tandis que retentissaient les
cris aigus et réguliers des hommes qui donnaient le rythme de la poussée.
Quand la petite troupe déboucha au
sommet de
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