Le Roman d'Alexandre le Grand
ma tente ce soir, et je te remettrai ce dont tu
as besoin. Mais débarrasse-toi de cette perruque, par Zeus, si tu veux sauver
tes fesses. Péritas se promène dans le camp avec Alexandre.
— On me l’a déjà dit, répliqua
Eumolpos en ôtant à contrecœur l’ornement de son crâne quasiment chauve et en
le rangeant dans sa besace. Il m’a déjà dévoré un bonnet en fourrure qui valait
une fortune : si les choses se gâtent, je lui lancerai aussi mon
sac. »
Il s’éloigna, et l’on put suivre un
long moment son crâne qui brillait sous un soleil au zénith.
L’armée s’ébranla le lendemain vers
l’est, les monts de l’Arménie à main gauche et le désert à main droite. Les
officiers chargés du bon déroulement de la marche avaient recruté des guides
indigènes car il n’existait ni cartes ni rapports concernant ce trajet. Ils
avaient toutefois préparé leurs instruments et leurs tables à dessin pour
tracer au fil de la route les cartes les plus exactes possible de cette région.
Ils parcoururent six étapes de cinq
parasanges, passant le fleuve Araxe de Syrie au bout de deux jours de marche et
continuant leur chemin sur un territoire aride et semi-désertique. De temps à
autre, on apercevait des troupeaux d’ânes sauvages, de gazelles et d’antilopes,
qui broutaient parmi de rares buissons épineux et, la troisième nuit, on
entendit à deux reprises le rugissement d’un lion déchirer l’immense espace
vide comme un coup de tonnerre.
Les chevaux hennirent et ruèrent en
essayant de se libérer de leurs entraves, et Péritas, qui s’était réveillé en
sursaut tenta dans des aboiements furieux de s’élancer vers l’endroit d’où
provenait l’odeur forte et pénétrante de la bête sauvage.
Alexandre le calma :
« Sage, Péritas, sage. Nous n’avons pas le temps d’aller à la chasse.
Allez, dors maintenant. » Il le caressa et lui gratta les oreilles jusqu’à
ce que le molosse se couche.
Le lendemain, ils trouvèrent des
œufs d’outardes. Ils virent des autruches et dénichèrent aussi des nids
contenant leurs œufs. En les examinant à la lumière du soleil, le cuisinier comprit
qu’ils venaient d’être pondus et les mit de côté pour le dîner. Alexandre tint
à garder deux coquilles intactes pour les envoyer à Aristote afin qu’il les
inclue dans sa collection. Mais Héphestion ne voulait pas renoncer à un peu de
chair fraîche. Il organisa une battue à l’autruche avec Léonnatos et Perdiccas,
une vingtaine d’attaquants agrianes et triballes armés de lances et de
javelots. Or, ainsi qu’il le découvrit bien vite, l’entreprise n’avait rien de
facile : ces oiseaux maladroits se déplaçaient à une vitesse incroyable,
les ailes tendues vers le haut, pareilles à des voiles dont ils se servaient
pour exploiter la force du vent. Pas un cheval ne fut en mesure de les
rejoindre.
Quand les chasseurs revinrent, las,
penauds et les mains vides, Alexandre les accueillit en secouant la tête.
« Qu’as-tu donc à redire ?
lui demanda Héphestion d’un air fâché.
— Si tu avais lu la
« marche des Dix Mille » ainsi que je l’ai fait, tu saurais comment
on chasse l’autruche. Xénophon était un grand chasseur, ne l’oublie pas.
— Et de quelle technique
s’agit-il ?
— Le relais. Un premier groupe
de cavaliers poursuit les autruches et les pousse vers un endroit où d’autres
groupes sont échelonnés. Quand les chevaux du premier groupe commencent à se
fatiguer, celui-ci laisse la place au second groupe qui s’élance à toute
allure, et ainsi de suite jusqu’à ce que les autruches, épuisées, soient
obligées de ralentir. Il suffit alors de les encercler et de les abattre.
— Nous essaierons demain,
répliqua Héphestion.
— En attendant, nous nous
consolerons avec leurs œufs, dit Alexandre. Il paraît qu’ils sont excellents,
durs ou frits, avec du sel et de l’huile.
— Et il ne faut pas oublier les
plumes, ajouta Perdiccas. Elles seront en très bonne place sur mon casque.
Quelle merveille ! Il y en a une grande quantité sur le sol : ce doit
être la saison de la mue. »
Le lendemain et le surlendemain, on
ne vit pas la moindre autruche. À croire qu’elles avaient eu vent de la
nouvelle technique que les chasseurs avaient élaborée.
L’armée reprit sa route sans
rencontrer âme qui vive, à l’exception de deux caravanes qui transportaient
depuis l’Arabie une cargaison d’encens. Le soir
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