Le Roman d'Alexandre le Grand
désires. Elle a plus de valeur que
n’importe quelle somme d’or ou d’argent. Ne l’égare pas. Adieu, berger, et
bonne chance. »
Ils achevèrent leur descente le
lendemain soir et débouchèrent sur le haut plateau de la Perside. Cette vaste
étendue était parcourue de fleuves que bordaient de longues files de peupliers,
et constellée de villages en briques crues.
Ils croisèrent la route du Grand Roi
sur les rives de l’Araxe, et Alexandre fit monter le camp pour attendre
Parménion et le reste de l’armée. On venait de lui servir à dîner quand un
hétairoï de la garde pénétra sous sa tente et lui annonça une visite :
« Sire, un homme désire te
parler. Il a traversé le fleuve en bateau et il semble très pressé.
— Alors, fais-le entrer. »
Le soldat introduisit un homme
habillé à la manière perse : un pantalon attaché au-dessus des chevilles,
ainsi qu’une écharpe en lin enroulée autour de la tête et nouée autour du cou.
« Qui es-tu ? l’interrogea
Alexandre.
— Je viens de la part du
satrape Aboulitès, qui commande la place forte de Persépolis. Il est prêt à te
remettre la ville et te conseille de reprendre aussitôt ta route si tu
souhaites trouver le trésor du Grand Roi encore intact. Les partisans d’une
défense à outrance pourraient, en effet, l’emporter. D’autres voudraient aussi s’emparer
du trésor pour soutenir l’insurrection de Darius. Que dois-je rapporter à mon
maître ? »
Alexandre réfléchit en silence
quelques instants, puis il lui répondit : « Dis-lui que j’atteindrai
les environs de Persépolis dans deux jours, au coucher du soleil, avec ma
cavalerie. »
L’homme ressortit et demanda qu’on
l’accompagne à son bateau. Aussitôt, le roi convoqua Diadès de Larissa, son
ingénieur en chef.
« Il faut que tu construises un
pont au-dessus de l’Araxe avant demain soir », lui dit-il sans attendre
qu’il se fût assis.
Désormais habitué à entendre des
requêtes invraisemblables, Diadès ne broncha pas : « De quelle
largeur ? l’interrogea-t-il.
— Le plus large possible :
je dois y faire passer ma cavalerie dans les délais les plus brefs.
— Cinq coudées ?
— Dix.
— Dix coudées. D’accord.
— Tu penses y arriver ?
— Ai-je jamais échoué,
sire ?
— Non.
— Mais il faut que je commence
ces travaux sans tarder.
— Comme tu le veux. Tu peux
donner des ordres de ma part à qui tu le souhaiteras, même aux généraux. »
Diadès réunit dix escadres, leur
fournit des mules et des chevaux, des haches, des scies, des cordes et des
échelles. Il leur ordonna d’aller couper des sapins dans un bois voisin. Les
troncs furent grossièrement nettoyés, épointés et durcis à la flamme,
partiellement débités. Trois cents personnes travaillèrent toute la nuit ;
à l’aube, le matériel était rassemblé sur la rive du fleuve, prêt à l’emploi.
Diadès fit planter les pieux deux
par deux dans le lit du fleuve au moyen d’un bélier, à intervalles de dix
coudées. Il les relia transversalement et dans le sens de la longueur au moyen
de planches clouées, créant une nervure latérale et un support horizontal.
Segment après segment, le pont avança vers le centre du fleuve, où les pieux
furent renforcés par l’ajout de gros rochers qui brisaient le courant.
Le lendemain soir, Alexandre rangea
la cavalerie sur le pied de guerre, il attendit que la dernière planche soit
clouée aux soutènements et, suivi de ses compagnons et de quatre escadrons
d’hétairoï, y lança Bucéphale au galop. L’infanterie, commandée par Cratère,
s’ébranla derrière eux.
Ils chevauchèrent toute la nuit et
s’arrêtèrent à l’heure du troisième tour de ronde, avant le lever du soleil.
Épuisé par les événements qui s’étaient succédé au cours des derniers jours et
par les pénibles veilles nocturnes, Alexandre s’endormit profondément. L’air du
haut plateau, la brise légère qui soufflait de l’est, le bois de platanes et
d’érables sycomores qui étendaient leur ombre sur eux, créaient une atmosphère
paisible et tranquille. Les chevaux broutaient en liberté le long des rives
d’un ruisseau aux eaux limpides, bordé de saules et de cornouillers, et
Bucéphale trottait librement, suivi de Péritas, qui lui mordillait impunément
ses terribles jarrets. Rien ne laissait présager ce qui allait arriver.
L’une des patrouilles de
surveillance poussa vers
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