Le Roman d'Alexandre le Grand
le roi Xerxès, cuirasse de tortue aux incrustations
d’ivoire et de corail ayant appartenu au rajah de Taxila, sabre de parade du
roi des Scythes Kurban II… »
Un mois aurait été nécessaire à
l’énumération de toutes ces merveilles. Alexandre le comprit, mais il ne
parvenait pas à détacher le regard de ces objets étincelants, de ces
merveilleux ornements.
« Quelle somme y a-t-il en
pièces de monnaie et en lingots ? », demanda soudain Eumène.
L’eunuque attendit qu’Alexandre
l’ait autorisé à répondre pour dire d’une voix plate : « Cent vingt
mille talents. »
Eumène blêmit. « Tu as dit
cent… cent vingt mille ?
— C’est exactement ce que j’ai
dit », confirma l’eunuque sur un ton impassible.
Ils ressortirent bientôt, comme
étourdis par ce spectacle. Eumène continuait de répéter : « Je ne
peux pas y croire, par les dieux de l’Olympe, je ne peux pas y croire. Quand tu
penses qu’il y a un peu plus de trois ans, nous n’avions pas assez d’argent
pour acheter le foin nécessaire aux chevaux et la nourriture de nos hommes…
— Fais distribuer dix mines à
chacun d’eux, lui ordonna Alexandre.
— Dix mines à chaque soldat,
c’est bien ça ?
— Oui. Ils l’ont mérité. En
outre, tu remettras un talent aux officiers, cinq aux commandants des grandes
unités d’infanterie et de cavalerie, et dix aux généraux. Tu me donneras
ensuite la somme totale.
— Ce sera l’armée la plus riche
de la terre, grommela le secrétaire, mais je ne suis pas certain qu’elle
demeurera la plus courageuse. Es-tu sûr de bien agir ?
— Sûr et certain. D’autant plus
qu’ils ne disposeront pas de beaucoup de temps pour dépenser cet argent.
— Pourquoi, on repart ?
— Au plus vite. »
Et pourtant, ils restèrent plusieurs
mois à Persépolis. La ville renfermait les archives et la chancellerie
impériale, et Eumène expliqua à Alexandre qu’il était nécessaire de consolider
ce qui avait été fait, d’organiser le système des routes et des communications,
qui était vital pour le ravitaillement, et de donner aux satrapes et aux
administrateurs des provinces soumises les instructions nécessaires au gouvernement
et aux rapports avec la Macédoine. Il chercha aussi des documents prouvant la
responsabilité de la cour perse dans l’assassinat du roi Philippe, ou des
traces d’éventuels contacts avec le prince Amyntas de Lyncestide qui, accusé de
collusion avec Darius lorsque l’armée cantonnait encore en Anatolie, était
toujours étroitement surveillé par ordre du roi. Mais les archives étant toutes
rédigées en caractères cunéiformes, il aurait fallu plusieurs années aux
quelques traducteurs disponibles pour parvenir à un dépouillement complet de
ces documents.
Comme Eumène l’avait prévu,
l’inertie et l’argent modifiaient radicalement le comportement des soldats et
des compagnons qui, comme lui, habitaient maintenant les plus beaux palais de
la ville, nettoyés et restaurés, où ils menaient une vie de roi. Alexandre les
invitait à des promenades à cheval, il organisait fréquemment des jeux de balle
afin qu’ils continuent de s’entraîner. Ses amis y participaient à contrecœur,
dans le seul but de le satisfaire, mais dès que les parties commençaient, ils
retrouvaient la joie simple de leurs jeux d’enfants.
Au cours de ces jours-là, leurs cris
et leurs rires résonnaient sous les portiques du palais, comme jadis dans la
cour du palais royal de Pella.
« Passe-moi la balle ! Passe-la-moi,
par Héraclès ! criait Alexandre.
— Mais je te l’ai passée tout à
l’heure, et tu l’as laissée filer, répondait Ptolémée en criant encore plus
fort.
— Tire au lieu de jacasser.
Qu’est-ce que tu fais, tu dors ? » hurlait Léonnatos.
Eumène était toujours le premier à
réclamer une pause car il n’avait pas reçu la formation et l’entraînement des
guerriers. « Ça suffit, maintenant, j’ai le cœur qui lâche !
— Le cœur ? Mais tu as un
livre de comptes à la place du cœur ! », le rabrouait Cratère, qui
était le plus habile et le plus rapide de tous.
Quoi qu’il en soit, ces jeux
constituaient de brèves parenthèses, et dès qu’ils s’achevaient, l’ombre du
pouvoir et de la richesse s’abattait à nouveau sur eux.
Un jour, décidé à s’entretenir seul
à seul avec Alexandre, Eumène alla le trouver dans ses appartements, au palais
impérial.
« La
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