Le Roman d'Alexandre le Grand
œuf ? Ton
cuisinier l’a fait bouillir, il a donc arrêté son devenir, alors qu’il y avait
dans cette coquille un oiseau en puissance, capable de marcher, de se nourrir,
de se reproduire, de migrer à des dizaines de milliers de stades de distance.
En tant qu’œuf, il n’est rien de tout cela, mais il porte en lui les
caractéristiques de son espèce, la forme, pourrait-on dire.
« La forme opère à l’intérieur
de la matière avec divers résultats ou conséquences. Péritas est une de ces
conséquences, et nous le sommes aussi. »
Il mordit dans l’œuf. « Tout
comme cet œuf, s’il avait pu devenir un oiseau. »
Alexandre le regarda. La leçon avait
déjà commencé.
13
« Je t’ai apporté un cadeau, annonça Aristote en entrant dans la
bibliothèque, tenant un coffret en bois qui semblait très ancien.
— Merci, dit Alexandre.
Qu’est-ce que c’est ?
— Ouvre-le », répondit le
philosophe.
Alexandre s’exécuta en posant
l’objet sur une table : il contenait deux gros rouleaux de papyrus,
marqués d’un petit signet blanc attaché aux bâtonnets, portant des inscriptions
à l’encre rouge.
« L’Iliade et l’Odyssée !
s’exclama-t-il avec enthousiasme. Un cadeau merveilleux. Merci vraiment. J’en
avais envie depuis bien longtemps.
— C’est une édition plutôt
ancienne, un des premiers exemplaires de la version athénienne de Pisistrate,
expliqua Aristote en lui montrant le titre. Je l’ai fait transcrire à mes frais
en trois exemplaires quand j’étais à l’académie. Et je suis heureux de t’en
offrir un. »
Le surintendant, qui se tenait non loin
de là, se dit en son for intérieur qu’il pouvait se le permettre, étant donné
l’argent que Philippe lui versait ; mais il se contenta de préparer en
silence ce qu’Aristote lui avait demandé pour les leçons de la journée.
« Il est fondamental, pour l’éducation
d’un jeune homme, de lire les hauts faits des héros du passé et d’assister à la
représentation des tragédies, continua le philosophe. Le lecteur et le
spectateur sont ainsi amenés à admirer les grands et nobles exploits, la
générosité du comportement de ceux qui ont souffert et donné leur vie pour leur
communauté et leurs idéaux, qui ont expié jusqu’au bout leurs erreurs ou celles
de leurs ancêtres. Tu n’es pas d’accord ?
— Si, bien sûr, admit Alexandre
en refermant avec soin le coffret. Il y a une chose que je voudrais toutefois
te demander : pourquoi dois-je être instruit comme les Grecs ?
Pourquoi ne puis-je pas être simplement un Macédonien ? »
Aristote s’assit. « Ta question
est intéressante, mais pour te répondre, il faut que je t’explique d’abord ce
que signifie être grec. Après, seulement, tu pourras choisir ou non de
t’appliquer vraiment à l’étude de mon enseignement. Etre grec, Alexandre, est
le seul mode de vie digne d’un être humain. Connais-tu le mythe de
Prométhée ?
— Oui, Prométhée était le Titan
qui vola le feu aux dieux pour le donner aux hommes et les sauver de leur
misère.
— C’est exact. Quand les hommes
s’émancipèrent de leur état de brutes, ils essayèrent de s’organiser pour vivre
en communauté et développèrent principalement trois façons de le faire. La
première se nomme monarchie, c’est le règne d’un seul homme. La deuxième
s’appelle oligarchie, et l’on y voit commander une élite. Dans la troisième
enfin, tous les citoyens exercent leur pouvoir. C’est la démocratie. Telle est
la réalisation la plus grande de la grécité.
« Ici, en Macédoine, la parole
de ton père est loi ; à Athènes, celui qui gouverne a été élu par la
majorité des citoyens. Mais un cordonnier ou un porteur peut se lever, en
pleine assemblée, pour demander qu’une mesure déjà approuvée par le
gouvernement de la cité soit retirée, s’il existe un nombre de personnes
suffisant pour soutenir sa motion.
« En Égypte, en Perse et en
Macédoine, il n’y a qu’un homme libre : le roi. Tous les autres sont des
esclaves.
— Mais les nobles…, tenta
d’intervenir Alexandre.
— Les nobles aussi. Certes, ils
ont plus de privilèges, jouissent d’une vie plus agréable, mais ils doivent eux
aussi obéir. »
Aristote se tut, car il avait
remarqué que ses mots avaient fait mouche, et il voulait qu’ils résonnent dans
l’esprit du garçon.
« Tu m’as offert les poèmes
d’Homère, répliqua
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