Le Roman d'Alexandre le Grand
aussi. »
Lysippe présenta ses élèves,
Archélaos et Charès, mais Alexandre sentit qu’en même temps qu’il parlait, le
sculpteur l’examinait. Le regard de l’artiste parcourait ses traits en les
redessinant mentalement.
« Ton père m’a chargé de
façonner ton portrait dans le bronze. J’aimerais savoir quand tu seras prêt à
poser pour moi. »
Alexandre jeta un coup d’œil à
Aristote, qui sourit : « Quand tu le voudras, Lysippe. Je peux fort
bien parler pendant qu’il pose… si cela ne te dérange pas.
— Bien au contraire, répliqua
Lysippe. T’écouter sera un privilège pour moi. »
Après qu’Alexandre fut sorti avec
Charès et Archélaos pour leur faire visiter les lieux, Aristote demanda à
l’artiste : « Que penses-tu de ce garçon ?
— Il a les traits et le regard
d’un dieu. »
14
La vie à Miéza était organisée de façon extrêmement rigoureuse. Chaque
jour, Alexandre et ses camarades étaient réveillés avant le lever du soleil,
ils prenaient un petit déjeuner à base d’œufs crus, de miel, de vin et de
farine, une mixture qu’on appelait le « gobelet de Nestor », dont la
recette figurait déjà dans l’Iliade ; puis ils montaient à cheval avec
leur instructeur pendant deux heures.
Au terme de la leçon d’équitation,
les jeunes gens passaient sous la tutelle du maître d’armes qui les entraînait
à la lutte, à la course, à l’escrime et au tir à l’arc, au maniement de la
lance et du javelot. Ils consacraient le reste de leur temps à Aristote et aux
autres précepteurs.
Il arrivait que le maître d’armes
remplace les exercices habituels par une partie de chasse, où il conviait tous
les hôtes de la maison. Les bois regorgeaient de sangliers, de cerfs, de
chevreuils, de loups, d’ours, de lynx et même de lions.
Un jour, au retour d’une battue,
Aristote les accueillit sur la porte d’entrée, vêtu d’étranges vêtements :
il portait des bottes de cuir à mi-jambes et un tablier à bavette. Ayant
examiné les animaux tués, il choisit une laie qui, à l’évidence, attendait des
petits.
« Veux-tu bien la porter dans
mon laboratoire ? », dit-il au veneur avant de faire signe à
Alexandre de le suivre. Cela signifiait qu’une leçon particulière allait se
dérouler.
Le garçon prit les dispositions
nécessaires afin que les exigences de son maître fussent satisfaites. Le corps
de la laie fut déposé sur une grosse table près de laquelle Théophraste avait
aligné une série d’instruments chirurgicaux parfaitement affilés et
scintillants.
Aristote demanda qu’on lui tende un
bistouri. Puis il s’adressa au jeune prince : « Si tu n’es pas trop
fatigué, je souhaiterais que tu assistes à cette opération. Tu apprendras
nombre de choses importantes. Il y a ici de quoi écrire », ajouta-t-il en
indiquant une plume, de l’encre et des feuilles de papyrus sur un pupitre,
« tu pourras prendre des notes sans perdre de vue la dissection. »
Alexandre posa dans un coin son arc
et ses flèches, prit la plume et le papyrus, et s’approcha de la table.
Quand le philosophe ouvrit le ventre
de la laie, six marcassins apparurent à l’intérieur de l’utérus. Il les mesura
un à un.
« La grossesse aurait été
portée à terme dans deux semaines, observa-t-il. Regarde, voici l’utérus,
c’est-à-dire la matrice où se forment les fœtus. Le sac qui se trouve à
l’intérieur, c’est le placenta. »
Dominant le premier mouvement de
répugnance que provoquaient en lui l’odeur et le spectacle de ces entrailles
sanguinolentes, Alexandre se hâta de prendre des notes et d’esquisser des
croquis.
« Tu vois ? Les organes
des porcs et des sangliers, animaux pratiquement identiques, ressemblent
beaucoup à ceux des êtres humains. Regarde : voici les poumons, des sortes
de soufflets qui permettent de respirer, et voici le phrên, la membrane qui
sépare la partie supérieure des entrailles – la plus noble – de la partie
inférieure. Les Anciens croyaient que c’était le siège de l’âme. Dans notre
langue, les mots qui indiquent l’activité de la pensée, du raisonnement, ou
même de la folie – laquelle est une dégénérescence de la pensée – dérivent tous
du terme phrên. Une membrane. »
Alexandre aurait aimé lui demander
ce qui animait le phrên, ce qui réglait son mouvement régulier, mais il savait
déjà ce qu’Aristote rétorquerait : « Il n’y a pas de
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