Le Roman d'Alexandre le Grand
ce qui se trouvait, ou se produisait, aux
alentours.
Alexandre comprit que le philosophe
l’observait déjà, même s’il ne l’avait pas encore fixé un seul instant du
regard. Il sortit et patienta devant la porte jusqu’à ce que celui-ci ait
effectué un demi-tour du portique.
Bientôt, Aristote lui fit
face : ses yeux étaient gris, nichés sous un front large et haut, sillonné
de deux rides profondes. Il avait des pommettes saillantes, que ses joues
creuses accentuaient. Sa bouche, au contour régulier, était ombrée par une
épaisse moustache et une barbe très soignée qui encadrait son visage, apportant
à son expression un air pensif et profond.
Alexandre ne put s’empêcher de
remarquer que le philosophe ramenait les cheveux qui poussaient sur sa nuque
sur le sommet de son crâne afin d’en couvrir l’ample calvitie. Aristote s’en
aperçut et, un instant, son regard devint glacial. Le prince baissa aussitôt
les yeux.
Le philosophe lui tendit la main.
« Je suis heureux de te rencontrer. Je voudrais te présenter mes
disciples : voici mon neveu Callisthène, qui étudie la littérature et
l’histoire ; et voici Théophraste, ajouta-t-il en indiquant l’homme qui se
tenait à sa gauche. Son habileté de zoologue et de botaniste est peut-être déjà
parvenue jusqu’à toi. Quand nous avons rencontré ton père pour la première fois
à Assos, en Troade, Théophraste s’est aussitôt plongé dans l’examen des
sarisses aux hampes immenses que brandissaient ses lanciers. Et quand le
souverain a fini de parler, il a murmuré à mon oreille : « Boutures
de cornouiller mâle, coupées au mois d’août, à la nouvelle lune, vieillies,
poncées et traitées à la cire d’abeille. C’est ce qui existe de plus dur et de
plus élastique dans le monde végétal. » N’est-ce pas extraordinaire ?
— Ça l’est, en effet »,
confirma Alexandre, qui serra d’abord la main d’Aristote, puis celle de ses
assistants, selon l’ordre dans lequel le maître les avait nommés.
« Soyez tous bienvenus à Miéza,
continua-t-il. Je serais honoré si vous acceptiez de déjeuner avec moi. »
Aristote n’avait pas cessé de
l’observer depuis le premier instant, et il l’admirait déjà profondément. Le
« garçon de Philippe », comme on l’appelait à Athènes, avait un
regard intense et profond, des traits d’une merveilleuse harmonie, une voix au
timbre sonore et vibrant. Tout en lui dénotait un ardent désir de vivre et
d’apprendre, de grandes facultés d’intelligence et d’application.
L’aboiement joyeux de Péritas, qui
surgissait dans la cour et s’attaquait déjà aux lacets d’Alexandre, interrompit
cette communication silencieuse entre maître et disciple.
« C’est un chiot magnifique,
observa Théophraste.
— Il s’appelle Péritas, dit
Alexandre en se penchant pour prendre l’animal dans ses bras. C’est mon oncle
qui me l’a offert. Sa mère a été tuée par une lionne au cours de notre dernière
partie de chasse.
— Il t’aime beaucoup »,
remarqua Aristote.
Sans rien ajouter, Alexandre les
conduisit à la salle à manger. Il les fit allonger devant les tables et les
imita avec grâce. Aristote se trouvait exactement en face de lui.
Un domestique apporta une cruche et
une cuvette pour les ablutions, puis passa une serviette. Un autre commença à
servir le repas : des œufs durs de caille, une poule au pot, de la viande
de pigeon grillée et du vin de Thasos. Un troisième serviteur déposa sur le
sol, près d’Alexandre, l’écuelle de Péritas.
« Crois-tu vraiment qu’il
m’aime ? demanda Alexandre en regardant le chiot frétiller gaiement, le
nez dans son écuelle.
— J’en suis certain, répondit
Aristote.
— Une telle conviction
n’implique-t-elle pas qu’un chien ait des sentiments, et donc une âme ?
— C’est une question qui te
dépasse, observa Aristote en écaillant un œuf. Et qui me dépasse aussi. Une
question à laquelle il n’existe pas de réponse sûre. Souviens-toi d’une chose,
Alexandre : un bon maître ne donne que des réponses honnêtes.
« Je t’apprendrai à distinguer
les caractéristiques des animaux et des plantes, à les classer en espèces et en
genres, à utiliser tes yeux, tes oreilles et tes mains pour connaître
profondément la nature qui t’entoure. De cette façon, tu appréhenderas
également les lois qui la gouvernent, dans les limites du possible.
« Tu vois cet
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