Le Roman d'Alexandre le Grand
si longtemps recherché de son dernier
voyage… »
Ils se remirent en chemin vers le
sud. Au fur et à mesure qu’ils se rapprochaient des hauteurs de la Margiane, l’eau
et la végétation, les plantes et les animaux réapparurent. Sur la rive d’un
fleuve, le roi fonda une autre ville, qu’il appela Alexandrie de Margiane. Il y
installa les peuples semi-nomades qui vivaient dans les environs ainsi qu’une
partie des hommes et des femmes de sa suite. Il y laissa une garnison de cinq
cents Macédoniens, Grecs et Thessaliens, unis à des femmes asiatiques qui
marchaient avec une incroyable constance dans le sillage de l’armée. Les hommes
qu’il cantonna semblaient avoir oublié les familles qui les attendaient dans
leur patrie, et perdu la mesure du temps écoulé depuis leur départ.
Il parvint à Bactres vers la fin de
l’automne pour y passer l’hiver. Il ordonna que le procès de l’usurpateur
Bessos s’y déroule selon le rite perse. Oxathrès rassembla le conseil des juges
anciens et fit comparaître le prisonnier devant eux. Les mutilations qu’il lui
avait infligées la nuit de sa capture, dans la campagne qui s’étendait autour
de Kurushkhat, avaient cicatrisé, mais elles lui donnaient un aspect encore
plus inquiétant, de mort vivant.
Le procès dura peu de temps, et
quand on demanda à Bessos s’il entendait se disculper, il ne prononça pas le
moindre mot. Il se dressa avec dignité devant ses ennemis, lui qui avait voulu
sauver l’honneur de l’Empire perse, humilié par la double défection de Darius,
lui qui avait tenté de repousser l’envahisseur.
Le verdict fut émis, et il était
terrible : il sanctionnait l’assassin de la personne sacrée du roi et
l’usurpateur du trône des Achéménides. L’écartèlement.
Bessos fut déshabillé et conduit
dans un lieu destiné depuis longtemps à l’exécution de cette sentence. Deux
saules, longs, minces et assez proches, étaient fléchis jusqu’au sol de manière
à ce qu’ils s’entrecroisent. On avait relié leur cime à un piquet au moyen d’un
câble. Le prisonnier fut amené sous l’arc que formaient les deux troncs et
attaché par les chevilles et les poignets à l’extrémité de ces deux
montants : il était ainsi suspendu à cinq coudées du sol.
Les Perses et les habitants de Bactres
assistaient à ce spectacle barbare, ainsi qu’un certain nombre de Macédoniens
et de Grecs. La princesse Stateira avait quitté Zadrakarta tout exprès.
Vengeance était ainsi faite à son père, qu’elle avait enterré et longuement
pleuré dans la nécropole royale de Persépolis, désormais abandonnée. Elle était
assise à côté d’Alexandre, immobile et blême.
À un signe des juges suprêmes, les
bourreaux s’approchèrent des câbles en brandissant une hache. À un second
signe, ils abattirent au même instant leur instrument d’un coup sec. Les deux
troncs se redressèrent, la puissante musculature de Bessos se tendit et son
corps fut écartelé. Il y avait encore une ombre de vie dans ses yeux quand les
oiseaux de proie, qui planaient éternellement sur ces lieux de supplice, se
posèrent pour banqueter.
Alexandre passa l’hiver à Bactres
avec Stateira et toute la cour. Aidé d’Eumène, il écrivit de nombreuses
missives aux satrapes de ses provinces : à Antigone, dit le Borgne, qui
gouvernait l’Anatolie, à Mazéos en Babylonie, et à Artabaze, en Pamphylie. Il
s’enquit de la santé de Phraatès et demanda au vieux satrape si son petit-fils
s’était remis de la perte de ses êtres chers, s’il menait une vie sereine dans
son palais du bord de mer. Il avait commandé une petite charrette à ses
forgerons, qu’il enverrait au jeune Perse, avec deux poulains scythes.
Il reçut une lettre de sa mère
Olympias et une missive de Cléopâtre, qui lui parlait de son existence dans le
palais de Boutrotos et lui confiait sa nostalgie :
Les nouvelles de tes aventures me
parviennent comme assourdies et déformées par la distance, et il me semble
impossible, moi qui suis ta sœur, de ne pouvoir te voir, de ne pouvoir savoir
quand tu reviendras, quand tu mettras fin à cette interminable entreprise.
Je souffre de ton absence et de ma
solitude. Je t’en prie, permets-moi de te rejoindre afin que je puisse admirer
moi-même les merveilles que tu as accomplies, les splendeurs des villes que tu
as conquises.
Je te remercie des présents que tu
ne cesses de m’envoyer, et dont je suis très fière, mais
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