Le Roman d'Alexandre le Grand
la région de Bactres,
nous irons au nord et à l’est, en Sogdiane, débusquer les rebelles sur les
montagnes, et nous nous déploierons en éventail : cinq détachements, un
pour chacun d’entre vous, un pour chaque forteresse à conquérir. Diadès a conçu
des catapultes à longue portée d’un nouveau genre, qui projettent des harpons
plus petits mais tout aussi efficaces. »
Comprenant que la situation avait
changé, Léonnatos cessa d’acquiescer. Alexandre, qui l’observait, lui
demanda : « Tu n’étais pas d’accord ?
— Euh, vraiment… j’étais
d’accord avec… », tenta-t-il de répliquer, mais tout le monde s’était déjà
levé puisqu’il n’y avait rien à ajouter, et Alexandre les raccompagna jusqu’au
seuil.
Ce plan fut rapidement mis en
pratique : à la tête de plus de la moitié de l’armée, le roi et ses
compagnons se dirigèrent vers l’embouchure de la vallée, où les rebelles les attendaient.
Ils luttèrent tout l’été et s’emparèrent d’un certain nombre de forteresses,
mais les opérations marquèrent ensuite le pas à cause du territoire
inaccessible et de la tactique fuyante de l’ennemi, qui attaquait brusquement
avant de battre en retraite. Quand le temps commença à se gâter et que les
provisions s’amenuisèrent, Alexandre ramena l’armée vers Maracanda.
Il en fut autrement pour Cratère.
Resté en arrière, il se dirigeait vers la capitale de la province quand il fut
rejoint par un courrier du commandant de la garnison.
« Spitaménès a envahi les
alentours de Bactres, saccagé les campagnes et les villages. Notre garnison a
tenté une première sortie, mais elle a été battue. Nous venons d’en tenter une
seconde, et nous avons un besoin urgent de renforts. »
Cratère eut un pressentiment :
connaissant le caractère rusé de Spitaménès, il était persuadé que son attaque
aux alentours de Bactres cachait une provocation destinée à attirer la garnison
de la capitale en rase campagne, afin de mieux l’anéantir.
« Quelle direction ont-ils
prise ? demanda-t-il au courrier.
— Celle-ci, répondit l’homme en
indiquant une piste qui conduisait au désert.
— C’est par là que nous irons
nous aussi, décida le commandant macédonien. Après nous être reposés quelques
heures. Il est inutile que nous passions par la capitale. »
Ils se remirent en route avant que
le soleil se lève, traversèrent à gué un torrent, puis s’approchèrent d’un
défilé bordé par des bouquets d’acacias et de tamaris : l’endroit idéal
pour une embuscade. Soudain, Cratère vit venir vers lui Coïnos, le commandant
du second escadron des hétairoï. « Regarde », dit celui-ci, le doigt
pointé vers le ciel.
« Quoi ? l’interrogea
Cratère en portant la main à son front.
— Des charognards »,
répondit l’officier d’un air sombre.
48
Le spectacle qui s’offrait à leurs yeux était effrayant : des
centaines de soldats macédoniens gisaient sur le sol, mortellement frappés. Les
cadavres étaient horriblement mutilés : la plupart d’entre eux avaient été
décapités ou scalpés. On en retrouva d’autres empalés, d’autres encore attachés
à des arbres où ils avaient été atrocement torturés. Les commandants, deux
officiers de la vieille garde, des amis de Cleitos le Noir, avaient été
crucifiés.
« Que faisons-nous ?
demanda tristement Coïnos.
— Rassemble toute la
cavalerie : nous allons les poursuivre. L’infanterie nous emboîtera le
pas. »
Coïnos fit sonner le rassemblement
et ordonna aux cavaliers de traverser au pas les lieux du massacre, dans un
silence de mort. Il voulut que les soldats voient ce que l’ennemi avait infligé
à leurs camarades, il voulut qu’ils soient envahis par une furieuse soif de
vengeance avant de se jeter à la poursuite des rebelles.
Bientôt, le défilé s’élargit en un
plateau de steppes et de vallonnements. Alors, Cratère donna l’ordre aux
soldats de former cinq rangs de six cents hommes. Puis il s’écria :
« Je ne m’arrêterai pas tant que je ne les aurai pas capturés et taillés
en pièces. Suivez-moi, hommes, et rappelez-vous ce qu’ils ont fait à vos
camarades ! »
Les traces de l’ennemi étaient
fraîches et bien visibles, aussi les escadrons n’eurent-ils pas à rompre les
rangs. Ils s’élancèrent dans un nuage de poussière, traversèrent une cuvette
dont ils gravirent la pente, derrière laquelle se cachait
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