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Le Roman d'Alexandre le Grand

Le Roman d'Alexandre le Grand

Titel: Le Roman d'Alexandre le Grand Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Valerio Manfredi
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la
cour, une amphore remplie d’eau serrée contre sa hanche ; un instant,
Alexandre revit l’enfer du mont Pangée.
    « Et les esclaves ?
demanda-t-il. Peut-il exister un monde sans esclaves ?
    — Non, répondit Aristote. De
même qu’il ne peut exister de métier tissant la toile sans tisseur. Quand cela
se vérifiera, alors on pourra se passer d’esclaves ; mais je nourris des
doutes à ce sujet. »
    Un jour, le jeune prince posa à son
maître une question qu’il n’avait pas encore osé formuler : « Si
l’organisation démocratique des cités grecques est la seule digne des hommes
libres pourquoi as-tu accepté d’instruire le fils d’un roi, et pourquoi es-tu
l’ami de Philippe ?
    — Aucune institution humaine
n’est parfaite, et le système des cités grecques comporte un gros
problème : la guerre. Bien qu’étant régies intérieurement par des
ordonnances démocratiques, de nombreuses villes tentent d’en surpasser
d’autres, de s’assurer les marchés les plus riches, les terres les plus
fertiles, les alliances les plus avantageuses. Cela les conduit à des guerres
incessantes qui consument leurs meilleures énergies et avantagent l’ennemi
séculaire des Grecs : l’empire des Perses.
    « Un roi de l’envergure de ton
père peut s’ériger en médiateur au milieu de ces querelles et de ces luttes
intestines. Il peut faire prévaloir le sens de l’unité contre le germe de la
division, et remplir un rôle de guide et d’arbitre au-dessus des parties, en
imposant la paix par la force, s’il le faut. Mieux vaut un roi grec qui sauve
la civilisation des Grecs de la destruction qu’une guerre permanente de tous
contre tous, et au bout du compte la domination et l’esclavage sous le talon
des barbares.
    « Telle est ma pensée. Voilà
pourquoi j’ai accepté d’instruire un roi. Autrement, il n’y aurait jamais eu
assez d’argent pour acheter Aristote. »
    Alexandre fut satisfait de cette
réponse, qu’il jugea honnête et juste. Mais il se rendait compte, au fil du
temps, qu’une contradiction grandissait irrémédiablement en lui : d’un
côté, l’éducation qu’il recevait, et dont il était convaincu, le poussait vers
la modération en matière de comportement, de pensée et de désirs, ainsi que
vers l’art et la connaissance ; de l’autre, sa nature, fougueuse en soi,
l’amenait à suivre les idéaux archaïques de valeur guerrière et de prouesses
qu’il découvrait dans les vers d’Homère et des poètes tragiques.
    Le fait qu’il descende par sa mère
d’Achille, le héros de l’Iliade, l’ennemi irréductible de Troie, était à ses
yeux fort naturel, et la lecture du poème, qu’il conservait sous son coussin et
auquel il ne manquait jamais de consacrer les derniers instants de sa journée,
excitait son âme et son imagination, lui transmettait une frénésie
irrépressible.
    Alors, seule Leptine parvenait à le
calmer. Depuis un certain temps, il lui permettait de rester à ses côtés, ou
exigeait d’elle plus d’intimité. C’était peut-être le besoin d’une mère ou
d’une sœur lointaines, ou le contact de ces mains qui savaient caresser,
procurer un plaisir léger et subtil qui s’accroissait avec douceur jusqu’à
enflammer son regard et ses membres. Chaque soir, Leptine lui préparait un bain
chaud et laissait couler l’eau sur ses épaules et son corps, lui caressait les
cheveux et le dos jusqu’à ce qu’il s’abandonne…
    Ces moments se conjuguaient de plus
en plus fréquemment avec une volonté effrénée d’agir, de quitter la paix de ce
refuge et de suivre les traces des grands du passé. Et ses actes quotidiens
trahissaient parfois une fureur primitive, une obsession de l’affrontement
physique. Un jour, au cours d’une partie de chasse entre amis, il s’était
querellé avec Philotas à propos d’un chevreuil que celui-ci affirmait avoir
abattu le premier, et il avait fini par refermer ses mains autour du cou de son
camarade. Il l’aurait sans doute étranglé si ses compagnons ne l’avaient
arrêté.
    Une autre fois, il avait presque
giflé Callisthène, qui avait mis en doute la véridicité d’Homère.
    Aristote l’observait avec attention
et inquiétude ; il y avait deux natures en Alexandre : celle du jeune
homme à la culture raffinée et à la curiosité insatiable, qui lui posait mille
questions, qui savait chanter, dessiner et réciter les tragédies
d’Euripide ; et celle du guerrier

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