Le Roman d'Alexandre le Grand
femmes l’essuyèrent et lui passèrent des
vêtements propres.
« Comment se comporte mon
garçon ? demanda bientôt le roi.
— C’est un des êtres les plus
extraordinaires que j’aie jamais rencontrés. Mais j’ai de plus en plus de mal à
le brider. Il suit tes entreprises et ronge son frein. Il voudrait se
distinguer, montrer sa valeur. Il craint que lorsque son tour viendra, il ne
lui reste plus rien à conquérir. »
Philippe secoua la tête en
souriant : « Si les problèmes étaient là… Je lui parlerai. Mais je
veux qu’il reste ici pour le moment. Il faut que tu achèves son éducation.
— As-tu vu le portrait que
Lysippe a fait de lui ?
— Pas encore. On m’a dit qu’il
était magnifique.
— Il l’est. Alexandre a décidé
que seul Lysippe pourra le représenter à l’avenir. Il a été très impressionné
par son art.
— J’ai déjà pris les
dispositions nécessaires pour qu’on exécute des copies afin de les offrir à
toutes nos villes alliées qui les exposeront publiquement. Je veux que les
Grecs constatent que mon fils a grandi au flanc du mont des dieux. »
Aristote l’accompagna jusqu’à la
salle à manger, qu’il serait peut-être plus juste d’appeler réfectoire. En
effet, le philosophe avait fait supprimer les lits et les tables précieuses,
auxquels il avait substitué une table entourée de chaises, comme dans les
maisons des pauvres, ou sous les tentes militaires. Cela lui semblait mieux
convenir à l’atmosphère d’étude et de réflexion qui devait régner à Miéza.
« Sais-tu s’il entretient des
relations avec des femmes ? Il serait temps qu’il s’y mette, observa le
roi tandis qu’ils parcouraient les couloirs.
— Il est doté d’un caractère
très réservé, presque farouche. Mais il y a cette fille… elle se nomme Leptine,
je crois. ».
Philippe fronça les sourcils.
« Continue.
— Je n’ai pas grand-chose à te
rapporter. Elle lui est aussi dévouée qu’à une divinité. Et c’est sans doute le
seul être humain de sexe féminin en mesure de l’approcher à n’importe quelle
heure du jour et de la nuit. Je ne peux rien te dire d’autre. »
Philippe gratta la barbe hirsute qui
ornait son menton. « Je n’aimerais pas qu’il me fasse un bâtard avec cette
servante. Il vaudrait peut-être mieux que je lui envoie une
« compagne » connaissant le métier. Cela nous éviterait des
problèmes, et elle pourrait aussi lui apprendre quelque chose
d’intéressant. »
Ils avaient désormais atteint le
seuil de la salle à manger. Aristote s’immobilisa. « À ta place, je m’en
abstiendrais.
— Mais cela ne vous gênera pas.
Je te parle d’une personne de premier ordre en matière d’éducation et
d’expérience.
— Il ne s’agit pas de cela,
objecta le philosophe. Alexandre t’a déjà laissé choisir son maître et
l’artiste qui a réalisé son portrait car il t’aime et parce qu’il est très
cultivé pour son âge. Mais je ne crois pas qu’il te permettra de franchir ces
limites, de violer son intimité. »
Philippe marmonna quelque chose
d’incompréhensible, puis il dit : « J’ai faim. On ne mange donc pas,
dans cet endroit ? »
Ils dînèrent tous gaiement ;
sous la table, Péritas rongeait les os de chevreuil que les convives jetaient
au sol.
Alexandre voulut connaître tous les
détails de la campagne de Thrace : comment étaient les armes des ennemis
et les techniques de combat, les fortifications de leurs villages et de leurs
villes. Et il voulut savoir comment s’étaient battus les deux rois
ennemis : Kersoblepte et Térès.
Puis, tandis que les domestiques
débarrassaient la table, Philippe salua tout le monde :
« Permettez-moi de prendre congé de vous et de vous souhaiter une bonne
nuit. Je voudrais profiter un peu de la compagnie de mon fils. »
Tous les convives se levèrent, lui
rendirent son salut et se retirèrent. Philippe et Alexandre se retrouvèrent
donc seuls dans la grande salle vide, à la lumière des lanternes. On
n’entendait que le bruit des os brisés, sous la table. Péritas avait grandi et
il était désormais doté d’une denture de lion.
« Est-il vrai que tu vas
repartir ? demanda Alexandre. Dès demain ?
— Oui.
— J’espérais que tu resterais
au moins quelques jours.
— Je l’espérais moi aussi, mon
fils. »
Suivit un long silence. Philippe
avait pour habitude de ne pas justifier ses décisions.
« Que
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