Le Roman d'Alexandre le Grand
veux-tu ?
— Non, garde-le. Peut-être
devras-tu un jour exécuter aussi sa statue. Ne penses-tu pas qu’un grand sage
la mérite davantage qu’un roi ou qu’un prince ?
— Je crois qu’ils la méritent
tous trois, en admettant que le roi et le prince soient sages », répondit
Lysippe avec un sourire.
De temps à autre, Alexandre recevait
des visites, et il put pendant quelques mois vivre auprès de ses amis en
intensifiant son entraînement physique et militaire, notamment quand Aristote
s’absentait pour mener à bien des recherches ou des tâches dont Philippe le
chargeait. Parfois, il regagnait Pella pour voir ses parents ou sa sœur
Cléopâtre, qui embellissait de jour en jour.
De retour à Miéza, il reprenait ses
activités, qui l’occupaient de plus en plus et absorbaient toute son énergie,
aussi bien physique que mentale. La méthode qu’Aristote appliquait à ses
recherches inspirait aussi son organisation des études.
Il avait ordonné qu’on place dans la
cour un cadran solaire, et dans la bibliothèque une horloge hydraulique, qu’il
avait tous deux inventés et au moyen desquels il mesurait la durée de chaque
leçon ou de chaque séance en laboratoire, afin qu’un juste temps soit accordé à
toutes les disciplines.
Il avait installé dans une aile du
bâtiment une riche collection de plantes officinales, d’animaux empaillés,
d’insectes, de papillons et de minéraux. Elle contenait même du bitume, que ses
amis d’Atarnée lui avaient envoyé, et Alexandre n’en crut pas ses yeux quand il
vit son maître l’enflammer en provoquant une flamme chaude et malodorante.
« L’huile d’olive me semble
bien meilleure », commenta-t-il, et Aristote l’approuva.
Obsédé par sa volonté de classer
tout ce qui était matière à connaissance dans la nature, le maître
collectionnait toutes choses, il avait même tracé une carte des sources d’eaux
thermales disséminées dans le pays, dont il avait étudié les propriétés
curatives. Philippe lui-même avait soulagé les douleurs de sa jambe en prenant
des bains de boue chaude à une source de la Lyncestide.
Tout un mur de rayonnages était
consacré à une collection d’animaux fossilisés : des poissons surtout,
mais aussi des plantes, des feuilles, des insectes et même un oiseau.
« C’est la preuve, je le crois,
que le déluge a vraiment existé, puisque nous trouvons ces poissons sur les
montagnes qui nous entourent », disait Alexandre non sans logique.
Aristote aurait aimé lui fournir une
autre explication, mais il dut admettre que le mythe du déluge était encore
l’unique récit en mesure de justifier ce phénomène. En tout cas, la chose ne
lui paraissait pas d’une importance capitale : selon lui, il fallait
ramasser ces objets, les mesurer, les décrire et les dessiner en attendant
qu’un autre chercheur trouve une explication incontestable, fondée sur des
données irréfutables.
Il tirait toutefois une grande
satisfaction de ses relations avec son disciple, car le fils de Philippe ne
cessait de lui poser des questions – une attitude que tout maître désire.
Dans le domaine de la politique,
Aristote commença à rassembler, avec l’aide de ses assistants et d’Alexandre
lui-même, les constitutions des divers États et des diverses villes aussi bien
d’Orient que d’Occident, aussi bien grecs que barbares.
« Tu as l’intention de réunir
toutes les constitutions existant au monde ? lui demanda Alexandre.
— J’aimerais bien, soupira
Aristote, mais je crains qu’il ne s’agisse d’une entreprise irréalisable.
— Et quel est le but de cette
recherche ? Élire la meilleure constitution ?
— Impossible, répondit le
philosophe. En premier lieu, parce qu’il n’existe pas de repères nous
permettant de distinguer la constitution parfaite, malgré tout ce que mon
maître Platon a dit à ce sujet. Mon but n’est pas tant d’arriver à la
constitution idéale que d’observer la façon dont chaque communauté s’est organisée
selon ses propres nécessités, selon le milieu dans lequel elle s’est
développée, les ressources dont elle pouvait disposer, les amis et les ennemis
avec qui elle devait compter.
« Cela implique, naturellement,
qu’il ne peut y avoir de constitution idéale, étant bien entendu que les
institutions démocratiques des cités grecques sont les seules capables de
régler la vie des hommes libres. »
C’est alors que Leptine traversa
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