Le Roman d'Alexandre le Grand
ne sont pas comme nous. Ils sont… différents. À
moins que nous ne soyons en train de vieillir. J’ai trente ans, tu te rends
compte ?
— Si tu veux tout savoir, je
les ai depuis un bon bout de temps. Bien, je vais continuer mon tour
d’inspection. Puis-je prendre Péritas ? Il me tiendra compagnie. »
Péritas se mit à frétiller.
« Oui, un peu de mouvement lui
fera du bien, il grossit.
— Alors, j’y vais. En cas de
besoin, n’hésite pas à m’appeler. »
Alexandre acquiesça d’un signe de
tête puis se replongea dans sa lecture. Il lut ainsi un moment, s’interrompant
parfois pour boire un peu de vin.
Hermolaos était assis devant lui,
les mâchoires serrées, les yeux rivés sur le sol. De temps à autre, le roi
levait la tête et l’observait d’un air perplexe. Il finit par lui dire :
« Tu me détestes, n’est-ce pas ? Tu me détestes parce que je t’ai
fait fouetter ?
— Ce n’est pas vrai, sire.
Je… »
Mais il était facile de voir qu’il
mentait. Le roi comprit alors que ce garçon était mauvais, car il n’avait pas
le courage de manifester sa haine, ni même d’y renoncer.
« Ne t’inquiète pas, peu
importe. »
La nuit s’écoula de la sorte, une
nuit froide, vide et inutile. L’aube n’allait pas tarder à poindre, et le tour
de garde prendrait fin. Les yeux braqués sur Alexandre, qui penchait parfois la
tête comme s’il s’endormait, Hermolaos était taraudé par les doutes.
Euryloque aussi avait passé la nuit
debout : il s’était rendu compte que les trois pages de garde étaient les
conjurés, et il était certain qu’ils agiraient, d’autant plus que le commandant
Ptolémée avait l’habitude d’emmener Péritas quand il était chargé de
l’inspection des corps de garde. Mais, voyant de la lumière dans le pavillon du
roi – signe qu’Alexandre veillait, alors qu’il n’y avait aucun risque
d’attaques ennemies –, il craignit le pire : Alexandre avait peut-être
tout compris. Il était évident qu’Hermolaos et ses amis l’abattraient avant le
jour. Désireux de sauver ces malheureux, il décida de parler. Il s’approcha de
Ptolémée, qui terminait son tour d’inspection : « Hêgemôn…
— Qu’y a-t-il, petit ?
— Je… je dois te parler.
— Je t’écoute.
— Pas ici.
— Sous ma tente, alors. »
Il l’y conduisit et l’invita à entrer. « Alors ? Pourquoi tant de
mystère ?
— Écoute-moi, hêgemôn, commença
Euryloque. Mon frère Épiménès, Hermolaos et d’autres garçons… comment te dire…
ont d’étranges idées… Ils fréquentent Callisthène, qui leur a bourré la tête de
bêtises sur la démocratie et la tyrannie, et alors…
— Alors ? demanda Ptolémée
en fronçant les sourcils.
— Ce ne sont que des enfants,
hêgemôn, poursuivit Euryloque, qui ne parvenait plus à refréner ses larmes. Ils
ont peut-être renoncé, le roi soupçonnait peut-être quelque chose… Je ne sais
pas… J’ai décidé de te parler, afin que tu leur flanques une belle frousse et
qu’ils ne s’y frottent plus. C’est la faute de Callisthène, tu comprends ?
Ils n’y auraient jamais pensé tout seuls. Même si le roi a fait fouetter
Hermolaos à cause de ce sanglier… je ne sais pas s’il irait jusqu’à… Mais on ne
sait jamais…
— Oh, grand Zeus ! éclata
Ptolémée avant de crier : Péritas, cours, cours chez
Alexandre ! »
Le chien s’élança et se précipita
sous la tente du roi tandis que son maître s’assoupissait sur la table et
qu’Hermolaos portait tout doucement la main à sa ceinture, sous sa tunique.
Péritas le renversa et sa gueule se referma sur la main du garçon, qui tenait
le poignard.
Ptolémée fit alors irruption sous la
tente. Il attrapa le chien par le collier au moment où il s’apprêtait à sectionner
la main du page. Réveillé par ce vacarme, Alexandre bondit et dégaina son épée.
« Ils voulaient te tuer »,
dit Ptolémée en désarmant Hermolaos.
Le jeune homme se débattait, il
criait : « Maudit tyran, monstre sanguinaire ! Tes mains sont
tachées de sang ! Tu as tué Parménion et Philotas, tu es un
assassin ! »
Les deux pages qui montaient la
garde à l’extérieur tentèrent de s’éloigner. Mais Ptolémée appela à grands cris
le trompette, auquel il ordonna de sonner le signal d’appel destiné aux
« écuyers ». Les pages furent aussitôt arrêtés. Euryloque accourut en
pleurant et en suppliant
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