Le Roman d'Alexandre le Grand
au…
— Je n’ai pas l’intention de
l’immoler, mais de le monter.
— Ah, c’est bien ce que je me
disais. Alors, viens : j’ai un ami qui possède des bêtes douces et
tranquilles. »
Il était facile de comprendre, en
effet, que l’acheteur était un homme de lettres, peu versé dans l’équitation.
Ils établirent un prix pour une
location de trois jours, et une avance à valoir sur le solde final. Après quoi,
Aristote partit seul pour le sanctuaire d’Apollon. Il était tard, et les gens
préféraient en général monter avec le jour dans le bois d’oliviers qui
resplendissait au soleil du matin : le soir, l’obscurité transformait ces
troncs séculaires en des silhouettes menaçantes et inquiétantes. Le pas docile
de la monture favorisait la méditation, et la tiédeur du soleil, qui descendait
sur la mer, réchauffait les membres du philosophe, refroidis par la traversée
et par le vent qui avait sans doute caressé les premières neiges du mont
Cithéron.
Aristote pensait aux longues années
au cours desquelles il n’avait jamais cessé d’enquêter sur la mort de Philippe,
de poursuivre une vérité fuyante et trompeuse.
Désormais, il avait perdu tout
intérêt pour les nouvelles d’Asie : Alexandre semblait avoir oublié ses
enseignements, au moins en ce qui concernait la politique. Il avait placé les
barbares sur le même plan que les Grecs, il s’habillait comme un despote perse,
exigeait que ses sujets se prosternent devant lui, et abondait dans le sens des
rumeurs que sa mère Olympias avait habilement diffusées au sujet de ses
origines divines.
Pauvre roi Philippe ! Mais
c’était le destin : on disait de tous les grands hommes qu’ils étaient les
enfants illégitimes d’un dieu ou d’une déesse. Héraclès, Castor et Pollux,
Achille et Thésée en étaient de bons exemples. Alexandre ne pouvait pas y
échapper. C’était compréhensible. Ou plutôt prévisible. Et pourtant, son ancien
élève lui manquait, il aurait donné n’importe quoi pour être en mesure de le
revoir et de lui parler. Avait-il encore cette manière curieuse de pencher la
tête sur l’épaule droite quand il écoutait ou prononçait des paroles qui
touchaient l’âme ?
Et Callisthène ? Une bonne plume,
sans aucun doute, mais un garçon dépourvu de bon sens. Comment s’en tirait-il
dans ces situations dangereuses, dans ces lieux lointains, parmi des peuples
sauvages et au milieu des intrigues de cette cour ambulante, instable et par
conséquent doublement périlleuse ? Cela faisait plusieurs mois qu’il
n’avait pas reçu de nouvelles de lui, mais le courrier était sans doute ralenti
par la traversée de régions étendues, de déserts et de hauts plateaux, de
fleuves tourbillonnants, de chaînes montagneuses…
Le philosophe talonna son petit
âne : il voulait atteindre le sommet avant que l’obscurité envahisse le
paysage. L’assassin… Un esprit diabolique certainement, puisqu’il avait réussi,
jusqu’à maintenant, à se moquer de lui et de tout le monde. La première piste
avait conduit le philosophe jusqu’à la reine Olympias, mais elle s’était
révélée ensuite peu probable : pourquoi la femme de Philippe aurait-elle
accompli un geste aussi théâtral en couronnant le cadavre du meurtrier de son
époux ? Nombre d’amis du roi auraient pu l’éliminer aisément, d’autant
plus qu’elle était étrangère, et donc doublement exposée et affaiblie par cette
situation. Il avait ensuite suivi l’hypothèse du crime passionnel : une
histoire d’amours masculines, où Pausanias, le meurtrier, se serait vengé d’un
outrage dont le nouveau beau-père du roi, Attale, père de la jeune Eurydice, se
serait rendu coupable. Mais Attale était mort, et les morts ne parlent pas.
Le bruit régulier que produisaient
les sabots de l’âne sur le gravier accompagnait les réflexions du philosophe,
scandant sa pensée de son rythme tranquille. Sa rencontre avec la fiancée de
Pausanias, sur une tombe, par un soir d’hiver glacial, lui revint à l’esprit.
La troisième hypothèse se profilait maintenant : la jeune épouse de Philippe
venait de mettre au monde un enfant mâle, et Attale, le grand-père de l’enfant
et le beau-père du roi, avait conçu un projet audacieux, celui de tuer Philippe
et de se proclamer régent au nom de son petit-fils, qui régnerait à sa
majorité. Ce plan avait de grandes chances de succès, car la mère de l’enfant
était
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