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Le Roman d'Alexandre le Grand

Le Roman d'Alexandre le Grand

Titel: Le Roman d'Alexandre le Grand Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Valerio Manfredi
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renversé des villes et des
armées, supporté les blessures les plus atroces, piétiné les sentiments les
plus sacrés, étouffé la pitié et la compassion. Il se laissa aller contre elle
et céda au sommeil. Il rêva qu’il cheminait sur une longue route, qui se
déroulait sous un ciel noir et menait au rivage d’un océan plat, froid et aussi
immobile qu’une lame d’acier poli. Mais il n’eut pas peur car la chaleur de
Roxane l’enveloppait comme un vêtement mœlleux, comme le bonheur mystérieux
d’un souvenir d’enfance.
    Quand il se réveilla et la trouva
auprès de lui, les yeux encore emplis de la lumière des rêves, il la caressa
avec une infinie douceur et lui dit : « Nous allons partir, mon
amour, et nous ne nous arrêterons pas tant que nous n’aurons pas atteint les
confins du monde et les villes du Gange, tant que nous n’aurons pas vu les
hérons de ses lacs dorés et les paons iridescents de Palimbothra. »
    Alexandre réorganisa l’armée,
enrôlant des milliers d’Asiatiques dans les provinces de Bactriane et de
Sogdiane, dont la sécurité lui était désormais doublement assurée et cimentée
par son mariage avec la fille d’Oxyartès. On vit arriver dix mille Perses
entraînés et armés à la macédonienne, que les gouverneurs d’Alexandre avaient
recrutés dans les provinces centrales de l’empire. Le roi décida alors
d’étendre à tous ses sujets le cérémonial perse et l’usage de la proskynèse
afin qu’ils soient tous traités de la même façon.
    — Mais les Macédoniens
s’insurgèrent et Callisthène l’affronta directement en qualifiant d’absurde
cette volonté : « Que feras-tu de retour en Macédoine ? lui
demanda-t-il. Exigeras-tu que les Grecs, les hommes les plus libres du monde,
te rendent grâce comme si tu étais un dieu ? Ils sont différents. Héraclès
lui-même ne connut pas d’honneurs divins de son vivant, et il fallut qu’un
oracle de Delphes le réclame expressément, alors qu’il était déjà mort depuis
un certain temps. Tu veux t’identifier à ces souverains barbares ? Mais
considère un peu leur sort : Cambyse fut battu par les Éthiopiens, Darius
par les Scythes, Xerxès par les Grecs et Artaxerxès par les « Dix
Mille » de Xénophon, que tu connais si bien. Ils furent tous vaincus par
des hommes libres. C’est vrai, nous nous trouvons sur des terres étrangères, et
il nous faut aussi penser à ces peuples, mais, je t’en prie, souviens-toi de la
Grèce ! Rappelle-toi les enseignements de ton maître. Crois-tu que les
Macédoniens pourraient traiter leur roi comme un dieu, et les Grecs le chef de
leur ligue ? On serre la main d’un homme, ou on lui donne un baiser ;
mais on érige des temples à un dieu, on lui offre des sacrifices, on lui chante
des hymnes. Il y a une grande différence entre honorer un homme et vénérer un
dieu. Tu es digne des plus grands honneurs parmi les hommes, parce que tu as
été le plus courageux, le plus grand d’entre eux. Mais contente-toi de cela, je
t’en prie, contente-toi de l’hommage des hommes libres et ne leur demande pas
de se prosterner devant toi comme des esclaves ! »
    Alexandre, qui donnait une audience
à ce moment-là, baissa la tête. Seuls ses plus proches voisins purent entendre
les mots qu’il murmurait : « Vous ne me comprenez pas… vous ne me
comprenez pas… »
    Hermolaos, le jeune page qui
admirait tant Callisthène et méprisait le roi, était de ceux-là. Il avait
succédé à Cébalinos à la tête des pages : après avoir sauvé la vie
d’Alexandre, ce dernier n’avait pas supporté la dureté de la vie militaire et
la rigueur du climat, il était tombé malade durant la campagne des Scythes et
avait expiré quelques jours plus tard, emporté par une forte fièvre. Hermolaos
passait ses journées à écouter les conseils et les enseignements de
Callisthène, et il lui arrivait fréquemment de négliger le service auquel il
était destiné.
    Le roi dispensa donc de cette
obligation ceux qui n’avaient pas le courage de se prosterner devant lui, et il
ne revint pas sur ce sujet. Mais sa décision ne ramena pas la paix parmi ses
gens. Ceux-ci bouillaient de rage en voyant les Asiatiques se prosterner devant
lui, selon une pratique qui leur était pourtant naturelle et obligatoire, ils continuaient
de le traiter tout bas de tyran prétentieux, aveuglé par le pouvoir et par un
trop-plein de chance.
    Le mécontentement ne s’arrêta pas

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