Le Roman d'Alexandre le Grand
à
de simples ronchonnements. Une fois encore, il se transforma en conjuration.
Mais celle-ci fut ourdie par les jeunes gens qui avaient la charge de sa
personne, par les pages qui veillaient sur son sommeil.
Le drame prit naissance au retour de
Bactres, à l’occasion d’une battue de chasse au sanglier, une distraction qui,
pourtant, était toujours source de joie. En raison de son grade, Hermolaos
chevauchait aux côtés du roi. Soudain, un sanglier déboucha devant eux,
poursuivi par Péritas et par une meute de chiens. S’écartant brusquement,
Alexandre empoigna son javelot pour frapper l’animal. Mais Hermolaos ne sut refréner
sa fougue et son envie de vaincre : il devança le roi et lui arracha la
victoire en abattant le sanglier le premier.
Cet acte constituait un grave
affront et reflétait un mépris total de la tradition et du protocole de la
cour. En de pareils cas, le roi était le seul à pouvoir infliger des punitions
corporelles aux pages, directement ou indirectement. Fort de cette prérogative,
Alexandre fit fouetter le garçon avec des verges.
C’était un dur châtiment, mais
totalement accepté à la cour. Les compagnons du roi avaient tous été punis de
la sorte dans leur adolescence : le dos de Léonnatos en portait encore les
marques. Plus d’une fois, Héphestion et Lysimaque avaient ainsi payé leur
indiscipline par ordre du roi Philippe, de la main de Léonidas ou de leur
maître d’armes. Pour l’auteur de ces règles, un tel châtiment était également
un exercice d’endurance à la douleur, une manière d’habituer le corps et l’âme
à l’obéissance, à les endurcir face aux difficultés. À Sparte, on fouettait les
enfants non pour les châtier mais pour accroître leur résistance, renforcer
leur courage.
Hermolaos jugea, en revanche, qu’il
avait été victime d’une humiliation féroce et d’une injustice. Dès lors, il
conçut une profonde rancœur à l’égard du roi, qui se mua bientôt en projet
d’assassinat. Il lui eût été facile de le frapper dans son sommeil. Mais il
avait besoin de complices afin de se ménager une issue. Enflammé par les idées
que Callisthène lui avait inculquées, il s’érigeait en citoyen athénien obligé
de défendre la démocratie de sa cité contre le tyran, alors qu’il était un page
macédonien au service de son roi dans un pays lointain au milieu de toutes
sortes de dangers. Il ne voyait pas, non plus, que la main d’Alexandre
nourrissait Callisthène, qu’elle lui fournissait de quoi manger, se vêtir et se
protéger contre le froid du haut plateau.
Avec l’inconscience des adolescents,
Hermolaos se confia à l’un de ses amis, un certain Épiménès, qui s’entretint à
son tour avec un garçon auquel il se fiait aveuglément, Chariclès. Celui-ci en
parla alors au frère d’Épiménès, Euryloque, qui, terrorisé, essaya de le
dissuader de mettre en œuvre un tel projet.
« Etes-vous fous ? dit-il
un jour qu’ils étaient réunis sous leur tente. Vous ne pouvez faire une chose
pareille !
— Bien sûr que si, répliqua
Hermolaos. Et nous libérerons ainsi le monde d’une bête sauvage, d’un tyran
odieux. »
Euryloque secoua la tête :
« Tu as payé pour une faute, car tu n’es pas sans savoir que le premier
coup revient au roi.
— Il était presque à terre,
comment aurait-il pu tirer ?
— Idiot, Alexandre ne tombe
jamais. Quoi qu’il en soit, que comptes-tu faire ? Crois-tu qu’il est
facile d’assassiner un roi ?
— Oui. Pense à la mort du roi
Philippe, qui était beaucoup mieux que son fils. L’assassin n’a jamais été retrouvé.
— Oui, mais nous sommes seuls,
entourés de barbares, en plein désert. On nous recherchera immédiatement. Et
puis, si tu veux tout savoir, des bruits courent déjà sur toi et sur
Callisthène ; ils font de vous les suspects idéaux. On t’a entendu lui
demander comment on devenait l’homme le plus célèbre du monde, question à
laquelle il aurait répondu : « En tuant l’homme le plus puissant du
monde. » Tu peux te considérer heureux que ces mots ne soient pas encore
parvenus aux oreilles du roi, mais on ne peut se fier indéfiniment au
hasard. » Il se tourna vers Épiménès : « Quant à toi, ça suffit.
Je suis ton frère aîné, et je t’ordonne de te dissocier de ces malheureux. Vous
aussi, abandonnez ce plan, si vous avez un brin de raison. Soyez respectueux
envers le roi, et ces racontars s’évanouiront
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