Le Roman d'Alexandre le Grand
Ptolémée : « Ne leur fais pas de mal,
hêgemôn ! Ne leur fais pas de mal. C’est terminé, je te le jure.
Confie-les-moi, je les punirai, je les bourrerai de coups, mais ne leur fais
pas mal, je t’en prie ! »
Alexandre sortit, blême de rage,
tandis qu’Hermolaos continuait de l’accabler de toutes sortes d’insultes et
d’injures, au milieu d’un campement désormais rempli de soldats qui se
pressaient pour assister à la scène.
« Que méritent ces hommes,
sire ? demanda Ptolémée selon la formule rituelle.
— L’armée les jugera »,
répondit Alexandre avant de réintégrer sa tente.
Les juges militaires se réunirent
sur-le-champ et les pages furent interrogés au cours de la journée et de la
nuit suivante, confrontés les uns avec les autres, amenés à se contredire,
frappés et fouettés jusqu’à ce qu’ils avouent. Aucun d’entre eux ne mentionna
le nom de Callisthène, même sous la torture, mais Euryloque, qui avait été
épargné puisqu’il avait sauvé la vie du roi, ne cessait de répéter que ces
garçons n’auraient jamais conçu un tel projet si Callisthène ne leur avait pas
tourné la tête avec ses idées. Jusqu’au bout, il supplia les juges de les
épargner. En vain.
À l’aube du lendemain, une aube grise
et pluvieuse, les pages furent lapidés.
Eumène, qui avait assisté au procès
et à l’exécution, gagna la tente de Callisthène, et l’y trouva tout tremblant,
pâle comme un cadavre, se tordant les mains sous l’effet de l’angoisse.
« Ton nom a été prononcé »,
lui dit-il.
Callisthène s’effondra sur une
chaise en gémissant. « Alors, c’est fini, n’est-ce pas ? »
Eumène ne répondit pas.
« C’est fini, n’est-ce
pas ? répéta-t-il en criant.
— Tes fantasmes ont pris corps,
Callisthène, le corps de ces garçons qui gisent à présent sous un tas de
pierres. Un homme comme toi… Ne savais-tu pas que les mots sont encore plus
meurtriers que l’épée ?
— On va me torturer ? Je
ne résisterai pas, je ne résisterai pas. Ils me feront dire tout ce qu’ils
voudront ! », hurla-t-il dans les sanglots.
Eumène baissa la tête d’un air
confus. « Je suis désolé. Je voulais juste te dire qu’ils ne vont pas
tarder. Il ne te reste plus beaucoup de temps. » Et il sortit sous la
pluie battante.
Callisthène balaya l’intérieur de sa
tente d’un regard désespéré, à la recherche d’une arme, mais il n’y avait là
que des rouleaux de papyrus, ses œuvres, son Histoire de l’expédition
d’Alexandre. Soudain, il se souvint d’un objet qu’il aurait dû détruire depuis
longtemps, mais qu’il avait conservé, pour une mystérieuse raison. Il se
précipita sur son coffre, le fouilla en haletant de peur et d’angoisse jusqu’à
ce qu’il mette la main sur une boîte en fer. Il l’ouvrit. Elle contenait un
rouleau, et, enveloppée dans un tissu, une fiole en verre remplie d’une poussière
blanche. La notice qui l’accompagnait disait :
Personne ne peut contrôler la
propagation des maladies. Mais ce médicament provoque les mêmes symptômes.
Un dixième de lepton donne une forte
fièvre, des vomissements et des diarrhées pendant deux ou trois jours.
Survient ensuite une amélioration,
qui laisse entendre que le patient est en voie de guérison. Le quatrième jour,
la fièvre monte, puis la mort arrive.
Callisthène brûla le billet et avala
tout le contenu de la fiole. Quand les gardes se présentèrent, ils le
trouvèrent couché parmi les rouleaux de son Histoire, les yeux écarquillés et
fixes, remplis de terreur.
51
La côte de la Phocide se profilait au loin, à travers la brume du soir,
tandis que les nuages et les flots étaient enflammés par le coucher du soleil.
Le bateau voguait, poussé par un vent qui soufflait du golfe d’Égine légèrement
par le travers. Aristote s’approcha de la proue afin d’observer les manœuvres
d’accostage. Quelques instants plus tard, il descendait sur le petit môle d’Ithéa,
où s’affairaient marins, débardeurs et vendeurs d’objets sacrés.
« Veux-tu un mouton à offrir au
dieu ? demanda l’un d’eux. Ici, ils coûtent moitié moins cher qu’à
Delphes. Regarde ce petit agneau : quatre oboles, seulement. Un couple de
pigeons, alors ?
— J’ai besoin d’un âne,
répondit le philosophe.
— Un âne ? rétorqua le
vendeur d’un air stupéfait. Tu dois plaisanter, qui pourrait bien sacrifier un
âne
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