Le Roman d'Alexandre le Grand
dossier sur lesquels s’installèrent les futurs mariés pour
partager des souhaits et échanger des vœux de bonheur. Leurs fiancées se
présentèrent ensuite, vêtues de robes de mariage, et allèrent s’asseoir auprès
de leurs promis. Imitant le roi, qui présidait la cérémonie, les hommes prirent
la main des femmes et y déposèrent un baiser. Chaque couple reçut une coupe en
or, après quoi le banquet put commencer. Les cuisiniers avaient préparé un
repas somptueux pour vingt mille invités. Le vin coulait d’une fontaine, où
chacun avait loisir de se servir à volonté, tandis que résonnaient des hymnes
nuptiaux, chantés par des chœurs de jeunes gens, accompagnés par des harpes
babyloniennes et indiennes, des flûtes et des timbales.
Stateira, qui avait quitté Ectabane
deux jours plus tôt, participa à la cérémonie en qualité de dame de compagnie
de sa sœur Barsine, que Darius avait eue de sa première femme. Quand vint
l’heure de se coucher, elle la suivit jusqu’au seuil de sa chambre, où son
époux devait la rejoindre. Alexandre arriva avant qu’elle ne reparte, et la
salua d’un baiser.
« Je suis heureux que tu sois
venue, Stateira. Beaucoup de temps s’est écoulé depuis notre dernière
rencontre.
— C’est vrai, mon seigneur,
beaucoup de temps s’est écoulé depuis lors.
— J’espère que tu te portes
bien.
— Je me porte bien, répondit
Stateira avec un sourire ambigu. Mais je me demande s’il en est de même pour
toi.
— J’ai peut-être un peu trop
bu, répondit Alexandre. Mais le vin ne peut que me faire du bien en une
pareille nuit.
— Oui, tu vas devoir combler
une vierge de presque trente ans, et une épouse que tu n’as pas vue depuis plus
de quatre ans. »
Alexandre sembla réfléchir un moment
et murmura : « Comme le temps passe… »
Puis il s’approcha d’elle, plongea
son regard dans le sien et lui demanda : « Veux-tu m’offrir ton
amour, ou comptes-tu me défier ?
— Te défier ? Et
pourquoi ? J’attendrai dans la chambre voisine que tu aies comblé ma chère
sœur : elle est ta nouvelle épouse, et elle a droit à tes forces les plus
vives », répondit Stateira avec un sourire aimable. Elle l’embrassa et
alla s’enfermer dans sa chambre.
Cette nuit-là, le roi coucha avec
ses deux épouses perses, avec Barsine d’abord, puis avec Stateira. Mais quand
il vit cette dernière endormie, il jeta une chlamyde sur ses épaules et sortit.
Il balaya le couloir du regard, et, voyant que tout était calme, descendit
l’escalier, traversa la cour puis rejoignit Roxane dans les appartements
royaux. Il s’étendit à ses côtés le plus discrètement possible, mais la jeune
femme se retourna brusquement et bondit sur lui. Ses poings martelèrent sa
poitrine, ses ongles griffèrent sa peau. « Comment oses-tu m’approcher
avec l’odeur de cette femelle ! », criait-elle.
Alexandre attrapa ses poignets et
l’immobilisa. Il la sentait se débattre et haleter sous son corps, mais il ne
dit rien. Il la laissa crier, pleurer d’un air désespéré, puis il la libéra et
s’allongea à nouveau à ses côtés en attendant qu’elle épanche sa colère et sa
souffrance.
« Si tu veux, je peux m’en
aller », dit-il.
Roxane s’abstint de lui répondre.
« Je t’avais prévenue que
j’épouserais Barsine, et que Stateira reviendrait. Les rois ont des devoirs…
— Cela ne change rien, s’écria
Roxane. Crois-tu que cela me console ?
— Non, je ne le crois pas,
répondit Alexandre. Voilà pourquoi je t’ai proposé de m’en aller.
— Vraiment, tu t’en
irais ? demanda la jeune femme.
— Si tu m’en priais, répondit
le roi. Mais j’espère que tu ne le feras pas, car tu es la seule femme que
j’aimerai tant que je vivrai. »
Roxane garda le silence un long
moment, puis elle dit : « Alexandre…
— Oui.
— Si tu recommences, je me
tuerai, et ton enfant mourra avec moi. Je suis enceinte. »
Sans rien dire, Alexandre lui pressa
la main dans la pénombre.
Le lendemain, le roi effaça les
dettes des soldats macédoniens qui en avaient contracté. Au début, peu d’hommes
avaient osé les déclarer, en pensant qu’Alexandre avait inventé un stratagème
pour identifier ceux qui n’avaient pas su administrer leurs revenus, ou qui
n’étaient pas parvenus à vivre de la solde généreuse qu’on leur versait.
Mais voyant que les demandes de
remise étaient peu nombreuses, Alexandre
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