Le Roman d'Alexandre le Grand
s’appuya contre le mur
comme si elle se sentait défaillir et écouta son pas lourd résonner dans le
couloir puis s’éteindre au fond de l’escalier.
18
Alexandre courait dans la prairie, inondée de la lumière printanière et
constellée de fleurs ; il courait, torse, jambes et pieds nus, contre le
vent qui soufflait dans ses cheveux en lui apportant l’odeur légère des
embruns.
Péritas l’accompagnait, réglant sa
course sur la sienne pour éviter de le dépasser ou de le semer. Il aboyait de
temps à autre comme pour attirer l’attention de son maître, qui se tournait
vers lui dans un sourire, sans s’arrêter pour autant.
C’était un de ces moments où il
libérait son esprit, volait comme un oiseau, galopait comme un cheval. Alors,
sa nature ambiguë et mystérieuse de centaure, tour à tour violente et sensible,
ténébreuse et solaire, semblait s’exprimer en un mouvement harmonieux, en une
sorte de danse initiatique, sous l’œil resplendissant du soleil, ou dans
l’ombre soudaine d’un nuage.
Son corps sculptural se contractait
à chaque bond, avant de se détendre en une large foulée ; sa chevelure
dorée, douce et brillante, rebondissait dans son dos comme une crinière, ses
bras légers battaient comme des ailes tandis que sa poitrine se soulevait dans
le halètement de la course.
Philippe le contemplait en silence,
à califourchon sur son cheval, depuis l’orée du bois. Quand il le vit
s’approcher et qu’il comprit, à l’aboiement du chien, que celui-ci l’avait
remarqué, il éperonna son destrier et rejoignit son fils en agitant la main.
Mais il ne songea pas à l’arrêter. Il galopa à ses côtés, fasciné par la
puissance de sa course, par le prodige de ses membres infatigables.
Bientôt, le jeune homme fit halte
devant un ruisseau, dans lequel il plongea. Philippe mit alors pied à terre. Un
peu plus tard, l’adolescent et son chien firent un bond hors de l’eau et
s’ébrouèrent ensemble. Le roi serra son fils contre sa poitrine et sentit que
son étreinte était désormais aussi puissante que la sienne. Il se rendit compte
qu’il était devenu un homme.
« Je suis venu te chercher,
dit-il. Nous rentrons à la maison. »
Alexandre le fixa d’un air
incrédule : « Parole de roi ?
— Parole de roi, assura
Philippe. Mais un jour viendra où tu évoqueras cette période avec regret. Je
n’ai jamais eu une telle chance ; je n’ai jamais eu de chants, de poèmes,
de discours sages. Voilà pourquoi je suis si las, mon fils, voilà pourquoi mes
ans pèsent si lourd. »
Alexandre ne dit rien. Le père et le
fils cheminèrent ensemble dans la prairie, en direction de l’école : le
jeune homme suivi de son chien, le père tenant son cheval par les rênes.
Soudain, un hennissement s’échappa
de derrière une colline qui dissimulait à leur vue la retraite de Miéza.
C’était un son aigu et pénétrant, un souffle puissant, pareil à celui d’une
bête sauvage, d’une créature chimérique. Puis on entendit le hurlement des
hommes, leurs cris et leurs appels, et bientôt le bruit de sabots de bronze qui
faisaient trembler la terre.
Les hennissements retentirent à
nouveau, avec plus de force et de fureur. Philippe se tourna vers son fils et
lui dit : « Je t’ai apporté un cadeau. »
Ils gagnèrent le sommet de la
colline. Alexandre s’arrêta stupéfait : devant lui, en contrebas, un
étalon noir se cabrait, luisant de sueur comme une statue de bronze sous la
pluie. Cinq hommes, agrippés à des cordes et à des rênes, tentaient d’en
contrôler la formidable puissance.
Il était plus noir qu’un corbeau et
avait sur le front une étoile blanche en forme de bucrane. Au moindre mouvement
du col ou de l’échine, il projetait au sol les palefreniers qu’il traînait
ensuite sur l’herbe comme des pantins inertes. Puis il retombait sur ses
antérieurs et ruait avec fureur, fouettait l’air de sa queue, secouait sa
longue crinière brillante.
Une bave sanglante ourlait son nez.
Il s’immobilisait, l’encolure fléchie, pour reprendre sa respiration, remplir
d’air son poitrail et le vider à nouveau comme s’il exhalait une haleine de
feu, un souffle de dragon. Il hennissait encore, secouait sa superbe tête,
contractait le faisceau de muscles pour mettre en valeur son garrot.
Comme frappé par un coup de fouet,
Alexandre sursauta soudain et s’écria : « Laissez-le ! Laissez
ce cheval en liberté, par
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