Le Roman d'Alexandre le Grand
Zeus ! »
Philippe posa une main sur son
épaule. « Attends encore un peu, mon garçon, attends qu’on l’ait dressé.
Encore un peu de patience, et il t’appartiendra.
— Non ! hurla Alexandre.
Non ! Je suis le seul à pouvoir le dresser. Laissez-le tranquille !
Je vous dis de le laisser tranquille !
— Mais il va s’enfuir, dit
Philippe. Je l’ai payé une fortune, mon fils !
— Combien ? demanda
Alexandre. Combien l’as-tu payé ?
— Treize talents.
— J’en parie autant que je
réussirai à le dompter ! Mais ordonne à ces misérables de le
libérer ! Je t’en prie ! »
Philippe le regarda et vit qu’il
était bouleversé : les veines de son cou étaient aussi gonflées que celles
de l’étalon furieux.
Alors, il se tourna vers ses hommes
et leur cria : « Libérez-le ! »
Ils obéirent. L’un après l’autre,
ils relâchèrent les cordes et les entraves, à l’exception des rênes, maintenues
autour de son encolure. Comme prévu, l’étalon s’éloigna en galopant dans la
prairie. Mais Alexandre se lança à sa poursuite et le rejoignit, sous l’œil
ébahi du roi et de ses palefreniers.
Le souverain secoua la tête en
murmurant : « Oh, par tous les dieux, le cœur de ce garçon va
éclater, son cœur va éclater. » Péritas grondait entre ses dents. Les
hommes levèrent la main. Ils entendirent que l’adolescent parlait au cheval,
qu’il lui criait quelque chose dans le halètement de la course, des mots que le
vent emportait avec les hennissements de l’animal, qui semblait lui répondre.
Brusquement, alors que le jeune
homme paraissait s’écrouler de fatigue, le cheval ralentit sa course. Il se mit
à trotter, secouant la tête et soufflant.
Alexandre s’avança, tout doucement,
dos au soleil. Il pouvait le voir, pleinement éclairé, il pouvait voir son
front large et noir, et sa tache blanche en forme de crâne de bœuf.
« Bucéphale, murmura-t-il.
Bucéphale… Voilà, voilà ton nom… C’est ton nom. Il te plaît, mon beau ? Il
te plaît ? » Et il s’approcha de lui, au point de l’effleurer.
L’animal remua la tête, mais il ne bougea pas ; l’adolescent tendit la
main et caressa délicatement son encolure, sa joue, son nez doux comme la
mousse.
« Tu veux courir avec
moi ? dit-il. Tu veux courir ? »
Le cheval hennit et Alexandre
comprit qu’il acquiesçait. Il plongea son regard dans ses yeux ardents et d’un
bond se hissa sur lui. Il cria : « Vas-y, Bucéphale ! » et
il lui pressa les flancs de ses talons.
L’animal partit au galop en étirant
son échine resplendissante, sa tête, ses membres et sa longue queue frangée. Il
fila aussi rapidement que le vent et traversa la plaine en direction du bois et
de la rivière. Le martèlement de ses sabots évoquait le grondement du tonnerre.
Puis il s’immobilisa devant Philippe
qui ne parvenait pas à en croire ses yeux.
Alexandre glissa au sol et
s’écria : « J’ai l’impression de monter Pégase, père ! On dirait
qu’il a des ailes. Tels devaient être sans doute Balios et Xanthos, les chevaux
d’Achille, les fils du vent. Merci pour ce cadeau ! » Il caressait
l’encolure du cheval et son poitrail trempé de sueur, au désespoir de Péritas
qui, jaloux, se mit à aboyer. Alors, le jeune homme se pencha pour lui
dispenser une caresse rassurante.
Philippe le contemplait d’un air
stupéfait, comme s’il n’avait pas encore saisi ce qui venait de se passer. Puis
il posa un baiser sur sa tête et déclara : « Mon enfant, il te faut
chercher un autre royaume : la Macédoine n’est pas assez grande pour
toi. »
19
Tandis qu’il chevauchait Bucéphale aux côtés de son père, Alexandre
l’interrogea : « Tu l’as vraiment payé treize talents ?
— Oui, et je crois que c’est le
prix le plus élevé qu’on ait jamais payé pour un cheval. C’est le plus bel
animal qu’ait produit l’élevage de Philonicos, en Thessalie, depuis de
nombreuses années.
— Il en vaut plus, dit
Alexandre en caressant l’encolure de Bucéphale. Aucun autre destrier au monde
ne serait digne de moi. »
Ils déjeunèrent en compagnie
d’Aristote et de Callisthène : Théophraste avait regagné l’Asie pour
poursuivre ses recherches et transmettait régulièrement à son maître des
comptes rendus concernant ses découvertes.
Il y avait aussi deux peintres
céramistes de Corinthe qu’Aristote avait appelés non pour peindre des
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