Le Roman d'Alexandre le Grand
pouvez pas hésiter, Thébains !
« Afin de vous montrer notre
bonne foi, nous vous céderons le commandement des troupes terrestres et ne
garderons que celui de la flotte. En outre, nous nous chargerons des deux tiers
des dépenses totales. »
Un murmure courut dans les rangs de
l’assemblée, et l’orateur comprit que ses mots avaient fait mouche. Il se
prépara à assener le coup de grâce, tout en sachant qu’il risquait gros et
qu’il serait peut-être désavoué par son propre gouvernement.
« Depuis plus d’un demi-siècle,
reprit-il, les villes de Platées et de Thespies, qui font partie de la Béotie,
sont alliées à Athènes, et Athènes a toujours garanti leur indépendance. Nous
sommes disposés, si vous acceptez notre proposition et vous unissez à nous dans
la lutte contre le tyran, à les ramener sous votre contrôle et à les persuader
de se soumettre à votre autorité. »
La fougue de Démosthène, son ton
inspiré, le timbre de sa voix et la force de ses arguments avaient obtenu l’effet
escompté. Quand il se tut, haletant et le front ruisselant de sueur, nombre de
représentants se levèrent pour l’applaudir, bientôt suivis par d’autres, et
d’autres encore, jusqu’à ce que toute l’assemblée éclate en une longue ovation.
Deux critères avaient joué :
l’impétuosité de l’orateur athénien et l’arrogance de l’envoyé de Philippe
mêlée à des intimidations et au chantage. Le président de l’assemblée fit
ratifier les décisions et chargea le secrétaire d’informer l’ambassade de
Macédoine que la cité repoussait en bloc ses exigences aussi bien que ses
offres, et qu’elle lui enjoignait de quitter le territoire béotien avant le
lendemain, au coucher du soleil, si elle ne voulait pas être arrêtée et
condamnée pour espionnage.
Philippe s’emporta comme un taureau
furieux lorsqu’on lui fit part de cette réponse : il n’imaginait pas que
les Thébains seraient assez fous pour le défier, alors qu’il se trouvait
presque aux portes de leur territoire. Mais il fut bien obligé d’accepter
l’issue de la confrontation entre les deux ambassades.
Une fois sa colère retombée, il
s’assit en tirant son manteau sur ses genoux et remercia Eudème d’Oréos du bout
des lèvres, lui qui s’était contenté, en fin de compte, d’exécuter ses ordres.
L’ambassadeur, qui était resté debout pour écouter le roi s’épancher, lui
demanda alors l’autorisation de prendre congé, et se dirigea vers la porte.
« Attends, le rappela Philippe.
Comment est Démosthène ? »
Eudème s’immobilisa sur le seuil et
se retourna.
« Une boule de nerfs qui n’a
que le mot « liberté ! » à la bouche », répondit-il.
Et il sortit.
Philippe ne s’était pas encore remis
de sa surprise quand l’armée des alliés s’ébranla. Des troupes légères de
Thébains et d’Athéniens occupèrent tous les cols montagneux, de façon à
interdire à l’ennemi toute initiative militaire en direction de la Béotie et de
l’Attique. Gêné par le mauvais temps et par une situation désormais trop
difficile et trop risquée, le souverain décida de rentrer à Pella et de laisser
un contingent en Thessalie sous les ordres de Parménion et de Cleitos le Noir.
Alexandre, à la tête d’un
détachement de la garde royale, vint l’accueillir à la frontière de la
Thessalie et l’escorta jusqu’au palais.
« Tu as vu ? lui dit
Philippe après qu’ils se furent salués. Il n’y avait pas urgence. Nous n’avions
pas besoin de nous presser. Nous n’avons pas encore pris d’initiative et le jeu
est ouvert.
— Mais tout semble se liguer
contre nous. Thèbes et Athènes se sont alliées et ont obtenu jusqu’à présent
des succès importants. »
D’un geste de la main, le roi sembla
chasser une pensée désagréable. « Ah ! s’exclama-t-il. Laisse-les se
repaître de leurs victoires. Leur réveil n’en sera que plus amer. Je ne voulais
pas de confrontation avec les Athéniens et j’ai demandé aux Thébains de rester à
l’écart de cette affaire. Ils m’ont poussé à la guerre contre mon gré, et je
vais devoir leur montrer qui est le plus fort. Il y aura encore des morts,
encore des carnages : cela me répugne, mais je n’ai pas le choix.
— Que penses-tu faire ?
interrogea Alexandre.
— Pour l’heure, attendre le
printemps : on combat mieux par beau temps. Mais surtout, je veux pouvoir
me consacrer à la réflexion.
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