Le sac du palais d'ete

tombées à genoux où elles priaient mains jointes, il posa le Livre saint sur le ventre de la parturiente puis, couvrant de sa voix vibrante et claire les battements du plafond de roseau éclairé par la flamme vacillante de son lumignon, il s’écria :
    —  Loué soit le Tout-Puissant ! Lui seul a le pouvoir de faire naître cet enfant ! Cette femme et le fruit de ses entrailles doivent vivre ! avant de dérouler pendant un bon quart d’heure et d’une voix monocorde la liste de tous les saints qu’il invoquait à l’issue de ses prêches.
    Dès qu’il eut achevé sa litanie, Hong, toujours en prières, plaça ses mains sur la Bible avant de s’y appuyer de tout son poids. Laura, jusque-là parfaitement immobile, comme si elle était atteinte de catalepsie, commença à gémir et à remuer doucement. Pour accentuer la pression, le Tianwan effectua une sorte de rétablissement qui lui fit décoller les pieds du sol de sorte que tout le poids de son corps s’exerçait à présent sur le ventre de la jeune Anglaise. Constatant que ses efforts ne donnaient rien, Hong Xiuquan, tout en conservant la même position, se mit alors à pivoter de droite à gauche et du haut vers le bas sur les entrailles de la gisante, en faisant jouer au Livre saint le rôle du pilon écrasant le fond du mortier. Après de longues minutes d’un traitement dont n’importe quel spectateur extérieur eût légitimement pensé que le fœtus de l’amante de La Pierre de Lune ne réchapperait pas, celle-ci poussa soudain un hurlement de délivrance.
    —  La tête du bébé est passée ! Que Zhang l’Immortel soit loué ! souffla l’accoucheuse qui s’était ruée auprès de la jeune femme dès qu’elle l’avait entendue crier.
    —  Femme de peu de foi, que ton Zhang aille au diable ! Si ce bébé vient de bouger, c’est parce que Notre-Seigneur Jésus-Christ l’a voulu ainsi ! lança Hong à la mécréante.
    D’une main experte, le chef Taiping s’empara délicatement du cou de l’enfant puis le tira légèrement vers lui en le faisant pivoter. Aussitôt, une première épaule apparut, suivie de la deuxième, et le corps sanguinolent du bébé glissa à l’extérieur du ventre de sa mère.
    —  C’est un garçon ! Dieu soit loué ! s’écrièrent alors les deux amies de la jeune Anglaise.
    Lorsque la matrone coupa le cordon ombilical et que l’enfant se mit à crier, plein de vie et d’énergie, une atmosphère irréelle baignait cette chambre lancéolée des rayons tremblants de l’unique bougie allumée où un horrible drame avait été évité de justesse. Était-ce l’effet  – au sens propre du terme !  – de la Bible, ou bien en raison des prières de Hong Xiuquan, toujours est-il que l’enfant de Laura Clearstone et de La Pierre de Lune était là, sain et sauf, reposant sur le sein de sa mère.
    —  Comment vas-tu l’appeler   ? murmura Jasmin Éthéré, bouleversée.
    —  Paul Éclat de Lune ! murmura, en souriant, la jeune maman qui avait depuis longtemps choisi ce nom double.
    À cet instant précis, c’était vers son cher La Pierre de Lune qu’allaient ses pensées. Où était-il   ? Que devenait-il   ? Continuait-il à la chercher   ? Auraient-ils la joie de se revoir, de continuer ensemble la route de la vie, de concevoir d’autres enfants   ? C’étaient là autant d’angoissantes questions, mais qui ne l’empêchaient pas de garder espoir. Leur fils méritait tant d’avoir un père !
    —  C’est un bien joli nom ! déclara Xuanjiao en posant ses lèvres sur le front de son amie.
    Au moment où les feux timides d’une aube encore pâle commençaient à pointer à travers les persiennes de roseau, Hong se pencha vers la mère et son enfant.
    —  Béni soit cet enfant qui est né sous le signe du Christ ! Mademoiselle Laura, recevez mes félicitations les plus sincères ! Dieu tout-puissant et miséricordieux protégera Paul Éclat de Lune tout au long de sa vie !
    Alors, après s’être signée, Laura Clearstone, qui avait tourné son visage exténué mais éperdu de reconnaissance vers l’homme qui venait de la sauver pour la deuxième fois, s’entendit lui murmurer :
    —  Respect et obéissance à mon Céleste Roi !
    Elle se sentait désormais une adepte pleine et entière du mouvement que Hong avait fondé.

 
     
    QUATRIÈME PARTIE
    Au Céleste Royaume de la Grande Paix

 
    51
     
    Nankin, 27 avril 1853
     
    Dans une atmosphère