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Le sac du palais d'ete

Le sac du palais d'ete

Titel: Le sac du palais d'ete Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jose Frèches
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fantomatique, le grand navire glissait sans bruit sur le fleuve Bleu comme s’il était porté par un nuage. Puis, sous l’effet du soleil, les brumes tenaces qui, jusque-là, effaçaient l’horizon et les berges se déchirèrent, dégageant à la vue des passagers le long ruban argenté du fleuve qui semblait à présent se dérouler devant leurs yeux jusqu’à l’infini.
    Au-dessus des eaux flottait une odeur pestilentielle, mais il eût fallu naviguer juste au ras des flots, sur un petit bateau de pêche, par exemple, pour en trouver la cause : des milliers de corps d’hommes, de femmes et d’enfants, aux ventres gonflés comme des outres et au bord de l’explosion, flottaient entre deux eaux, dispersant dans les eaux du fleuve de quoi donner le typhus à tous les habitants des villages situés en aval. Victimes de la peste, quelques centaines de porcs morts étaient venus ajouter leurs terribles miasmes à cette putréfaction généralisée. Mais la passerelle de l’impérieux navire de guerre britannique Hermès , qui avait appareillé de Shanghai cinq jours plus tôt, était située bien trop haut au-dessus du niveau du fleuve pour qu’il fût possible à ses occupants d’y distinguer ces horribles charognes.
    Parmi eux se trouvait un homme aux cheveux grisonnants qui se tenait droit comme un I et dont le comportement était en tous points semblable à celui qu’on attend d’un chef. L’ensemble de l’équipage du grand vaisseau était d’ailleurs aux petits soins pour lui. Il faut préciser que sir George Bonham, car tel était son nom, cumulait les fonctions de gouverneur de Hongkong, de surintendant du commerce britannique et surtout de ministre plénipotentiaire de Grande-Bretagne en Chine.
    Bonham venait se rendre compte « par ses propres yeux » de ce qui s’était passé à Nankin un mois plus tôt, le 19 mars 1853, lorsque l’ancienne capitale impériale de la Chine était tombée aux mains des Taiping. Il venait aussi informer Hong Xiuquan, leur chef suprême, de la « parfaite neutralité de la Grande-Bretagne » pour dissiper le mauvais effet des proclamations tonitruantes du Fils du Ciel. L’empereur Xianfeng, qui avait succédé à Daoguang depuis deux ans, avait en effet annoncé que les Occidentaux allaient lancer leurs flottes et leurs artilleurs contre les insurgés.
    La veille, l’ Hermès était passé devant la flotte impériale chinoise… ou plutôt, de ce qui avait nom de flotte impériale, vu qu’il s’agissait d’une quarantaine de vieilles « lorchas » portugaises au mouillage sur le fleuve à quelques milles en aval de Nankin. Louées à prix d’or par les Mandchous à d’habiles commerçants de Macao, il n’y avait guère à leur bord que quelques matelots macanais complètement perdus et qui ignoraient tout de la piètre mission dont ils avaient hérité.
    Pour faire croire aux insurgés que les Anglais étaient de leur côté, le commandant de la flotte impériale, un gros Mandchou au visage grêlé par la petite vérole, avait donné l’ordre à ses lorchas de se placer dans le sillage de l’ Hermès. Du coup, croyant à une attaque, la batterie que les Taiping avaient installée sur un monticule de terre sur la rive du fleuve Bleu s’était préparée à faire feu. Mais comme le prudent Bonham avait pris la précaution d’expédier par estafette à Luo Dagang, le général Taiping qui défendait le flanc sud de l’ancienne capitale impériale, une note faisant état de sa bienveillante neutralité, les artilleurs aux longs cheveux avaient attendu le passage de l’ Hermès pour déclencher leur tir. Ensuite, la lorcha de tête avait pris feu à la première salve des Taiping avant de couler à pic, ce qui avait contraint les autres à rebrousser piteusement chemin en abandonnant à son triste sort l’équipage du premier bateau que les eaux brunâtres du grand fleuve venaient d’engloutir.
    —  Avec la vapeur et la Bible, les Anglais traverseront l’univers… s’écria Bonham en riant, s’adressant à l’homme qui était accoudé juste à côté de lui au bastingage de la passerelle de commandement.
    —  C’est un fait… se contenta de répondre l’individu en question.
    C’est alors qu’un matelot en nage se précipita vers sir George, un pli à la main.
    —  Monsieur le gouverneur, une estafette ennemie vient de me le remettre à votre intention ! s’écria le marin en désignant la minuscule embarcation qui

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