Le sac du palais d'ete

femmes qui furent violemment projetées à terre.
    —  Mon bébé ! hurla Laura dont le visage se tordait de douleur sous l’effet de contractions qui devenaient de plus en plus importantes.
    Mais le temps, pour Jasmin Éthéré, d’aller chercher une civière, la jeune Anglaise avait perdu conscience. Folles d’angoisse et au prix de mille efforts, sous les hallebardes qui tombaient du ciel, la contorsionniste, que Xuanjiao, également aux cent coups, venait de rejoindre, réussit à la transporter jusqu’à chez elle où les deux femmes la hissèrent sur son lit.
    Laura, lentement, reprit connaissance.
    —  Où suis-je   ?
    —  Dans ta chambre, ma chérie !
    —  J’ai très mal… Je sens que mon ventre se déchire ! gémit-elle, en pleurs.
    —  Ne t’inquiète pas. La sage-femme est prévenue. Elle ne va pas tarder à arriver, lui murmura l’épouse de Xiao en passant une éponge humide sur le front de la jeune femme.
    —  J’aimerais tant serrer mon enfant dans mes bras, murmura- t-elle.
    —  Ne bouge pas, dans peu de temps, tu seras délivrée… et tu pourras même donner le sein au bébé ! Il faut rester détendue… tout va bien se passer ! ajouta d’une voix aimante Jasmin Éthéré à l’intention de la parturiente.
    Un bruit de vaisselle brisée fit tressauter les deux femmes. C’était l’accoucheuse, une grosse matrone aux hanches encombrantes qui, en déboulant dans la minuscule salle commune, avait accroché sans le vouloir un coin du buffet où Laura rangeait ses bols et ses soucoupes. Lorsqu’elle pénétra dans la petite chambre de Laura, Jasmin Éthéré ne put faire autrement que de se coller au mur devant l’ampleur du volume qui en occupait soudain l’espace. Avec autorité, la sage-femme écarta les jambes de Laura puis elle les lui fit replier afin de constater où en était le travail.
    —  L’organe est déjà ouvert. La voie est libre dans le Champ de Cinabre. On aperçoit le crâne du bébé ! lança-t-elle, satisfaite.
    Les deux amies de Laura se mirent à battre des mains. Mais une heure plus tard, hélas ! on en était toujours au même point : la tête de l’enfant restait à la lisière, comme s’il hésitait à effectuer le grand plongeon dans l’inconnu.
    —  Pousse plus fort ! hurla alors la sage-femme avant d’invoquer la Femme à la Fleur d’Or, la déesse donneuse d’enfants.
    Complètement dans le cirage, Laura ne comprenait rien aux propos de cette grosse matrone dont les mains expertes s’affairaient, fouillaient entre ses jambes en suant à grosses gouttes. Le temps passait et la jeune femme avait beau essayer d’expulser le fœtus de toutes ses forces, celui-ci, accroché aux chairs de sa mère comme le minerai précieux à sa gangue, ne glissait pas d’un pouce.
    La sage-femme ne cachait plus son inquiétude. Elle finit par lâcher, visage blême et au milieu d’une respiration sifflante :
    —  Ce bébé têtu me paraît fort mal en point. Je ne vois plus trop quoi faire, hélas ! si ce n’est invoquer Zhang l’Immortel, le dieu protecteur des enfants…
    Joignant le geste à la parole, la matrone sortit de sa poche une effigie qui représentait ce personnage entouré d’une nuée d’enfants, vêtu de sa robe verte, coiffé de sa tiare trilobée, et tirant à l’arbalète contre l’étoile du Chien {38} . Mais l’Immortel Zhang était manifestement aussi impuissant que la Femme à la Fleur d’Or : cela faisait désormais plus de quatre heures que Laura, à demi consciente et dont le visage gonflé et bleui faisait peine à voir, poussait en vain, tandis que la sage-femme, consciente qu’elle ne pouvait rien faire de plus, s’était repliée dans la cuisine où elle s’était mise à pleurer doucement. Après un silence lourd et devant tant d’efforts inutiles, désespérés et épuisants, Jasmin Éthéré et Xuanjiao, après s’être concertées, finirent par s’écrier d’une même voix, exténuées et n’y tenant plus :
    —  Il faut aller chercher le Tianwan {39} ! Lui seul, par la prière, peut réussir à faire sortir cet enfant sain et sauf !
    Quand Hong Xiuquan, sa Bible dans une main et un gros cierge dans l’autre, déboula dans la pénombre glauque de la pièce où Laura gisait allongée, la jeune femme venait à nouveau de perdre connaissance, le souffle court. Il s’approcha d’elle, lui imposa les mains et, sous le regard éploré de Jasmin Éthéré et de Xuanjiao qui étaient