Le sac du palais d'ete

qu’il lui avait enfin tendue, elle avait suivi Hong et Feng jusqu’à une masure désertée par des paysans chassés de leurs terres où les deux hommes avaient installé leur quartier général. Quelques jours plus tard, Feng Yunshan, soupçonné d’avoir détruit des statues dans un temple taoïste, y avait été cueilli par la police. Hong, après s’être rendu au tribunal pour plaider la cause de son ami auprès de Jiying, le gouverneur adjoint de la province du Guangdong, un homme connu pour ses idées et sa sympathie envers la religion chrétienne, avait obtenu sa libération mais assortie de son bannissement de la province, ce qui l’avait amené à transférer le siège de la Société des Adorateurs de Dieu à Jintiancun afin d’y préparer les offensives ultérieures de leur mouvement.
    La jeune Anglaise n’était pas près d’oublier son arrivée au village originel de Hong par un beau jour de juillet, après des jours de marche harassante. Malgré l’étouffante moiteur qui y régnait, l’endroit lui avait semblé paradisiaque, un havre de paix et de silence après tant de tourments et de fureurs. Sous un ciel de grands nuages bas traversés de lueurs, le hakka avait été accueilli triomphalement par tous ses habitants qui s’étaient massés sur la place du village en agitant des drapeaux jaunes.
    Avec son cher Joe, elle était enfin, par la grâce de Dieu, en sécurité.

 
    50
     
    Jintiancun, 30 janvier 1848
     
    Tombée depuis deux bonnes heures, la nuit du nouvel an s’annonçait glaciale, après la pluie qui n’avait pas cessé de la journée. Cela n’avait pas empêché Hong Xiuquan de convoquer pour une veillée d’action de grâces tous les habitants de Jintiancun.
    —  Hong va s’impatienter, il faut y aller… Mon frère, quand il prêche, n’aime pas les retardataires ! souffla, inquiète, Xuanjiao à l’attention de ses deux amies.
    Jasmin Éthéré aida Laura, dont le terme approchait, à s’extraire de son lit. Depuis la veille, la jeune Anglaise sentait bien que son ventre durcissait par moments, mais elle en ignorait la raison. Frileuse, elle jeta un châle sur ses épaules – la montagne des Cardons culminait à près de sept cents mètres  –, regarda ses amies avec lassitude et, prenant son courage à deux mains, leur emboîta le pas d’une démarche de somnambule.
    Lorsqu’elles arrivèrent sur la place du village, le prédicateur hakka y haranguait déjà ses troupes assises autour de lui, à même le sol mouillé, et trempées jusqu’aux os.
    —  Excuse-nous, glissa Xuanjiao à son frère qui n’avait pas manqué de la foudroyer du regard.
    Laura, incapable de s’accroupir vu son état, posa ses fesses sur le tabouret apporté par Xuanjiao. Après une méditation à haute voix sur la montée de Jésus au Calvaire, le chef Taiping dit à la foule d’une voix forte :
    —  Mes chers frères et mes chères sœurs, je veux profiter de cette occasion que Dieu me donne pour vous présenter le Livre des Célestes Décrets et des Proclamations.
    Feng Yunshan lui tendit un coffret de laque écarlate. Il contenait la traduction du Nouveau Testament achevée deux jours plus tôt par ses soins et ceux de Laura, accompagnée d’un texte de Hong dans lequel le chef Taiping exposait le futur mode de fonctionnement de son mouvement, tant sur le plan hiérarchique que procédural. Le hakka, qui avait demandé à Étoile Majeure de l’Ouest de coudre les pages des deux manuscrits une à une pour n’en faire qu’un seul volume, hissa fièrement celui-ci au-dessus de sa tête, tel Moïse avec les Tables de la Loi, avant de s’adresser, vibrant et exultant, aux siens.
    —  Ce divin texte sera notre loi d’airain à tous ! Il se substitue à l’ Ode de la doctrine et du salut du monde {36} ! En ce jour où la roue du temps revient à son départ, j’ai l’immense joie de vous annoncer que Dieu a décidé de me conférer le titre de Céleste Souverain de l’Universelle Paix ! Je nommerai aussi cinq Princes : celui de l’Est, celui de l’Ouest, celui du Midi et celui du Septentrion, et enfin un Prince Coadjuteur, qui m’aidera à maintenir la dynastie que je fonde à cet instant !
    Un murmure admiratif parcourut l’assistance face à l’audace de celui qui osait enfin proclamer un ordre nouveau.
    —  Prosternez-vous devant notre Céleste Roi auquel vous devez respect et obéissance ! hurla Feng en joignant le geste à la parole.
    Aussitôt,