Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Le sac du palais d'ete

Le sac du palais d'ete

Titel: Le sac du palais d'ete Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jose Frèches
Vom Netzwerk:
dessinait à présent sur le mur une grande flaque lumineuse sur laquelle se projetait l’ombre de la jeune fille. Son bras frôla la joue du convalescent. Électrisé, il se raidit et, soucieux de ne pas se laisser entraîner dans un gouffre dont il ne voyait pas le fond, décida de poursuivre coûte que coûte la conversation.
    —  Ce religieux réside-t-il toujours à Shantou   ?
    —  Non. Le père Lanchon est reparti pour la France… Les lazaristes imposent à leur prêtres de prendre leur retraite quand ils atteignent soixante-cinq ans. Le père Lanchon en avait soixante-dix. Ses poumons ne supportaient plus le climat maritime et son humidité permanente.
    —  Soixante-dix ans, c’est à la fois beaucoup et en même temps fort peu par rapport à dix mille… La vie d’un homme est comme un coursier blanc passant devant un interstice.
    —  Zhuangzi était un grand poète… Je vois que vous connaissez vos classiques !
    Une vague de nostalgie brouilla légèrement le regard du convalescent.
    —  Je les ai lus, grâce à mon père qui était calligraphe.
    —  Pour revenir au père Lanchon, je peux vous assurer que ce lazariste était un homme d’exception… toujours très aimable, à l’écoute des autres et bien plus respectueux des traditions chinoises que certains missionnaires protestants qui essayèrent de s’implanter ici.
    Il la trouvait de plus en plus attachante, avec cette vivacité des êtres purs, qui ne cherchent pas à abriter leurs sentiments derrière les paravents où la frontière est des plus floues entre les convenances, la dissimulation et le pur mensonge.
    —  Pour quels motifs votre père décida-t-il de se faire baptiser   ?
    —  Lorsque le père Lanchon lui expliqua qui était le Christ, mon père eut immédiatement envie de connaître Son amour.
    —  Moi aussi, j’ai entendu parler du Christ, murmura-t-il en même temps que son cœur se serrait.
    L’amour… le Christ… Les souvenirs des temps heureux, à la fois si lointains et si proches, revenaient au grand galop et s’entrechoquaient avec le présent. N’était-ce pas le même jour qu’ils avaient parlé du Christ, avec sa chère Laura, devant l’Enfer bouddhique et fait l’amour l’un avec l’autre, mais aussi l’un et l’autre pour la première fois, sur le tapis d’herbe de l’île du lac de l’Ouest   ? Comme un pendule affolé, La Pierre de Lune se sentait osciller entre deux pôles antagonistes. Sous l’effet d’une bouffée d’images où Laura était omniprésente et face à la jeune femme penchée sur lui et qui venait de lui prendre les mains, il se mit à frissonner et à claquer des dents.
    C’est alors que Pivoine plongea ses yeux dans les siens d’une façon si particulière qu’il se demanda avec angoisse ce qu’elle avait bien pu y voir.
    —  Vous êtes tout pâle… Quelque chose ne va pas, La Pierre de Lune   ?
    Son embarras était manifeste. Lui aussi était incapable de cacher ses sentiments.
    Mais il se ressaisit et préféra lui répondre par un sourire énigmatique avant que la douce torpeur d’un sommeil nécessaire, vu son état d’épuisement, ne vînt le libérer de ce qui s’annonçait comme un interrogatoire où il risquait d’en dire un peu trop, ou de finir par succomber définitivement à de charmants assauts.

 
    56
     
    Nankin, 2 août 1853
     
    En ce début d’après-midi de sabbat, sous l’épais matelas de chaleur qui arrachait à la terre ses dernières traces d’humidité et faisait trembloter au loin les silhouettes des arbres et des passants, Laura Clearstone avait rejoint Jasmin Éthéré, laquelle, malgré l’extrême canicule, balayait la cour désertée du Camp des Enfants.
    —  Tu voulais qu’on se parle en tête à tête… souffla Laura.
    Les deux femmes allèrent s’asseoir à l’ombre d’un magnolia dont les fleurs immaculées, évasées et ouvertes comme des calices, exhalaient à la ronde une délicieuse odeur.
    —  Oui ! Et je te remercie d’avoir accepté de venir ici malgré la chaleur ! Au moins, aucune oreille indiscrète ne nous écoutera.
    —  Ce que tu as à me dire est donc si grave   ?
    —  Le bruit court que l’orage ne va pas tarder à éclater entre le Tianwan et Yang Xiuqing… Le Prince de l’Orient reproche à Hong de ne pas être assez exigeant avec son fils aîné en matière de conduite morale, répondit l’ancienne contorsionniste dont l’adorable petite Fleur de Sel s’était mise

Weitere Kostenlose Bücher