Le sac du palais d'ete

se remplirent d’agacement. Il se mit à consulter fébrilement le reste du journal en s’attardant sur la gravure où l’on voyait l’ Hermès accoster, cherchant désespérément sa silhouette parmi celles que Bowles avait représentées sur l’embarcadère.
    —  Ce journaliste avait promis de faire état de ma personne ! lâcha-t-il, dépité.
    —  M. Bowles vous a consacré tout un passage de son enquête, lui annonça Laura en pointant son doigt sur la page où il était question de Yang.
    —  Qu’a-t-il écrit sur moi   ?
    —  M. Bowles vous cite parmi les hauts dirigeants du Céleste Royaume…
    —  Parle-t-il de mes théories sur les règlements militaires {48}   ?
    Il n’y avait pas une ligne, et pour cause, sur cet opuscule dont le Prince de l’Orient portait toujours sur lui un exemplaire, pour la bonne et simple raison qu’il s’était contenté d’en montrer la couverture à Bowles.
    —  Oui. Il est dit quelque part que vous êtes le Prince de la Guerre, le grand stratège de Hong… répondit prudemment Laura.
    Échaudée par les confidences de Jasmin Éthéré, la jeune femme voulait éviter que Yang n’entrât dans l’une des terribles colères dont il était coutumier.
    —  Parle-t-il de ma position privilégiée, au sein de la hiérarchie des Princes   ?
    —  Bien sûr !
    À ces mots, l’intéressé se rengorgea, puis, tel un fauve en cage, se mit à marcher de long en large, une lueur inquiétante dans les yeux.
    —  Le Tianwan ne mérite plus de présider aux destinées du Céleste Royaume qu’il est en train de conduire à sa perte. Seul un homme de ma trempe peut redresser la barre. Seriez-vous prête à m’y aider   ?
    Laura vacilla. Son regard angoissé croisa celui de Jasmin Éthéré. Son amie avait raison. Yang avait bel et bien décidé de faire la peau au Tianwan.
    —  Compte tenu de ma modeste place dans l’organisation du Céleste Royaume, je crains fort de ne pas être à la hauteur de votre requête, répondit-elle, la gorge asséchée par la peur.
    —  Votre frère est l’un des familiers du Tianwan…
    —  Cela fait plus de trois semaines qu’il n’a pas fait appel à Joe   !
    —  Peu importe. Il n’est pas de jour où Hong ne parle, comme il dit, de son « petit prophète » ! s’écria Yang, de plus en plus excité.
    —  Mon frère n’ayant pas l’usage de la parole, je ne vois pas de quel secours il pourrait vous être, souffla Laura, prête à défendre bec et ongles la tranquillité de son petit frère.
    —  C’est bien parce qu’il est perpétuellement muet que Joe m’intéresse. … et même au plus haut point, répondit, la mine gourmande, le Prince de l’Orient.
    —  Où voulez-vous en venir   ?
    —  Je pourrais fort bien être la bouche de votre frère. Il suffirait que je puisse entrer en transe avec lui en présence du Tianwan…
    Laura jeta un regard affolé à Jasmin Éthéré. À l’expression de la contorsionniste, elle jugea qu’il était plus prudent de ne pas opposer à Yang une fin de non-recevoir.
    —  Nous pourrions en reparler… peut-être à un autre moment…
    Sans lui laisser le temps de terminer sa phrase, le Prince de l’Orient conclut, péremptoire :
    —  Je repasserai en fin d’après-midi. Ce soir, le Tianwan préside à la cérémonie du sabbat… ce sera l’occasion idéale !
    Le soir même, sous les yeux inquiets de Laura qui voyait avec angoisse le piège se refermer, Joe comparaissait devant le Tianwan en compagnie de Yang Xiuqing.
    Sur le chemin du Palais Céleste, devant le Bureau des patronymes, des Han faisaient déjà la queue pour faire tamponner le lendemain leur certificat de changement de nom. Laura, que l’attitude du Prince de l’Orient avait profondément ébranlée, n’avait pu s’empêcher d’éprouver un certain malaise face aux conséquences de la décision de Hong qui obligeait tous les habitants de Nankin dont le patronyme comportait le caractère Wan ou « roi » à le changer en y ajoutant l’élément du « chien ». Le Tianwan était allé jusqu’à interdire l’usage de tous les mots qui entraient dans les noms et les titres de la Céleste Hiérarchie. Le Céleste Royaume n’était-il pas en train de dériver dangereusement vers une insupportable dictature   ?
    Elle était de plus en plus perplexe lorsqu’elle entra dans la salle du trône où la foule bigarrée des Taiping anoblis par le chef suprême du Céleste Royaume