Le sac du palais d'ete
murailles autour de Nankin.
— Je vois d’ici le scandale…
— Pour finir, le Prince de l’Orient déclara que Dieu tout-puissant ordonnait que la bastonnade fût donnée à Hong en plein Grand Conseil.
— Et quelle fut la réaction du Tianwan ?
— À ma grande surprise, il accepta l’humiliation. Mais au dernier moment, Yang l’épargna, moyennant la promesse de lui rendre deux dames que Hong avait prises dans son sérail…
— Quel marchandage ignoble ! fit Laura, écœurée.
— Ce n’est pas tout ! Depuis que Yang a fait plier le Tianwan, il ne se sent plus ! On murmure qu’il fomente l’assassinat du Prince du Nord.
— J’ignorais que leurs querelles allaient jusque-là ! soupira l’Anglaise.
Son amie lui ouvrait les yeux. Confinée la plupart du temps à l’intérieur du Camp des Enfants, elle se consacrait entièrement à sa tâche et ne s’occupait guère de ce qui se tramait dans le proche entourage du Tianwan.
— Il faut bouger, Laura ! Si nous restons ici, nous risquons d’être encore sur le navire quand il fera naufrage… souffla Jasmin Ethéré d’une voix rauque.
— Tu ne crois donc pas à la noblesse de la cause défendue par Hong ?
— Il rêve d’un monde où les besoins de chacun sont satisfaits, mais, en attendant, partout où l’armée des gueux passe, elle ne sème que la désolation et la mort !
— N’exagères-tu pas un peu ?
— C’est la stricte vérité !
Laura, quoique ébranlée, n’arrivait pas à partager les préventions de son amie. Elle s’arc-boutait sur l’image d’un homme qui, à un moment crucial, lui avait tendu une main secourable et l’avait sauvée d’un terrible désastre. Dans un ultime effort destiné à se rassurer elle-même, elle lui déclara :
— Lorsque je verrai le Prince de l’Orient, j’essaierai de le faire parler. Il m’ouvrira le fond de son cœur.
— Méfie-toi de cet homme. Il est d’une susceptibilité maladive. Sa fourberie est sans limites. Je l’ai vu dire une chose et son contraire à deux interlocuteurs différents. Depuis qu’il essaie de prendre la place du Tianwan, Yang est devenu inaccessible et ne reçoit personne.
— Orgueilleux comme il est, il a, si tu veux m’en croire, de bonnes raisons de venir me voir !
L’air entendu, Laura tendit à son amie l’un des deux exemplaires du North China Weekly que John Bowles, qui devait rejoindre l’armée des gueux déployée par Hong dans l’Anhui un mois plus tôt, lui avait portés la veille. Daté du 30 mai 1853, sa une était barrée par un gigantesque bandeau qui annonçait « une enquête exclusive de John Bowles » dont le titre était « L’Anglaise des Taiping !». Juste en dessous, une gravure la montrait en compagnie du Tianwan. Comme c’était prévisible, le numéro en question avait eu l’effet d’une bombe. Les lecteurs s’étaient passionnés pour l’histoire de Laura Clearstone bien plus que pour celle du Tianwan ! Au bout de trois jours, il ne restait plus un seul exemplaire du Weekly en vente, au point qu’il avait fallu en catastrophe procéder à un tirage supplémentaire. Pas peu fier de son coup, le dessinateur reporter avait raconté à Laura qu’il commençait à être sollicité par les plus grands journaux anglais et américains pour des reportages exclusifs qu’il avait refusés, préférant donner la priorité à sa propre entreprise.
À présent, Laura donnait à boire à Joe qui venait de les rejoindre après sa sieste. Sur le plan physique, le trisomique avait beaucoup changé. Gagné par l’obésité, il était devenu un homme au poids et à la taille impressionnants qui le faisaient ressembler à ces vigoureux lutteurs mongols qui s’affrontaient sur les champs de foire dans les gros bourgs agricoles de la Mandchourie. Sur le plan intellectuel, il n’avait, en revanche, pas progressé d’un pouce.
Lorsqu’elle leva les yeux, Yang Xiuqing se dandinait devant elle. Le Prince de l’Orient, fier comme un coq et sur des charbons ardents, alla droit au fait.
— Mes hommes m’ont appris que vous aviez en main un précieux exemplaire du journal anglais où il est question du Céleste Royaume…
— M. Bowles m’en a remis hier un numéro à votre intention, répondit-elle en lui tendant un exemplaire du Weekly.
Lorsqu’il tomba sur le portrait de Laura qui était la seule image à s’étaler en une, les yeux de l’orgueilleux Taiping
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