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Le sac du palais d'ete

Le sac du palais d'ete

Titel: Le sac du palais d'ete Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jose Frèches
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s’il voulait arrêter de souffrir, il lui fallait définitivement renoncer à la femme qu’il aimait. Ainsi que l’avait enseigné le Bouddha dans son immense sagesse, faire le deuil des choses et des êtres qu’on désirait était l’unique voie de la paix de l’âme. Les ultimes préventions du novice avaient été balayées par la perspective que lui avait fait miroiter le Supérieur de lui confier, dès qu’il aurait prononcé ses vœux, la mise en place d’un orphelinat ouvert aux enfants des rues. Résigné, l’esprit dompté et vide, le fils de Daoguang, dont les défenses intellectuelles étaient déjà fort émoussées par la dureté des conditions de vie dans la communauté monastique, avait fini par accepter de prononcer ses vœux de bonze.
    À la satisfaction de son maître spirituel, pendant deux ans et sous le nom de Compassion Extrême, le fils de Daoguang avait joué le jeu avec abnégation et ferveur. Entre la mise en œuvre de l’orphelinat, les tâches communautaires et l’enseignement que le Supérieur continuait à lui prodiguer, il était devenu une créature dépendante, un être dépourvu de tout recul sur ses actes, un instrument à la merci de son gourou. Le peu d’énergie qui lui restait, il le consacrait à repousser le souvenir de Laura. Son enfermement mental aurait pu se poursuivre si, un beau jour, Illumination Subite n’avait laissé tomber le masque.
    A l’issue d’une de leurs interminables séances d’exégèse sur les obscurs sermons de Bodhidharma, l’un des moines indiens qui avaient introduit le bouddhisme en Chine, le Supérieur avait tenu au moine Compassion Extrême de mystérieux propos :
    —  À présent que tu es digne de devenir un ascète à part entière… que tu es rompu au jeûne et que ton corps est suffisamment maigre, nous allons faire un essai. Suis-moi, ô Compassion Extrême !
    Il avait vite déchanté lorsque son maître l’avait conduit devant l’une des cages vides de l’Enfer.
    —  L’ascète Dix Mille Vies Antérieures vient d’entrer au Pâri-Nirvâna. Il te cède sa place. Ton heure de gloire est venue ! Il ne me reste plus qu’à m’assurer que tu es capable d’entrer dans cette cage. Dans le cas contraire, je demanderai au forgeron d’en construire une un peu plus grande… Vas-y, entre !
    Horrifié par la perspective de passer ses journées suspendu au plafond de l’Enfer, les membres tordus et sans pouvoir bouger d’un millimètre, La Pierre de Lune avait eu un mouvement de recul.
    —  Elle est bien trop petite !
    Illumination Subite l’avait alors empoigné par le haut de sa toge avant de réitérer son ordre, cette fois sur un ton implacable :
    —  Tu dois essayer ! C’est moi qui commande !
    Immobile comme un marbre mais le visage ravagé par la contrariété, le Supérieur fulminait. Ce n’était plus l’ascète impavide au doux regard qui dirigeait le monastère d’une main de fer dans un gant de velours mais bel et bien un autocrate qui prétendait l’obliger à passer le restant de ses jours dans une cage minuscule pour apitoyer les dévots et leur faire cracher la monnaie.
    —  Je ne rentrerai jamais là-dedans ! avait-il hurlé.
    Et en même temps qu’il clamait sa révolte, le voile pernicieusement tissé par Illumination Subite et qui l’empêchait, jusque-là, d’être lucide s’était brusquement déchiré. Il avait pris conscience qu’à rester sous la coupe de celui qui s’était arrogé le titre de gouverneur de son âme, il risquait tout bonnement d’abandonner toute chance de retrouver Laura. Alors, sous le regard incrédule du Supérieur, rassemblant ses maigres forces, il avait pris ses jambes à son cou et quitté sur-le-champ le monastère sans répondre aux moinillons qui l’avaient, comme d’habitude, joyeusement interpellé. Lorsqu’il s’était retrouvé dans la rue, enfin libéré de la gangue qui l’emprisonnait, respirant à pleins poumons l’air d’une liberté oubliée, il n’avait qu’une idée en tête : quitter Canton au plus vite, trouver un endroit où il pourrait physiquement et psychiquement se reconstruire afin de repartir d’un bon pied à la recherche de la femme qu’il aimait.
    Sans plus attendre, convaincu que la marche était la meilleure des thérapies, La Pierre de Lune avait cheminé à l’aveuglette, quoiqu’il en coûtât à son organisme épuisé par les privations. Grâce à sa toge jaune, il recevait tous les jours de quoi

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