Le sac du palais d'ete
Aujourd’hui, je travaille pour son compte. J’ai une dette à son égard. Je lui dois la vie… Ce sont des choses qui ne s’oublient pas, bredouilla le calligraphe, désappointé par ce jeune prêtre catholique assez imbu de lui-même.
— Avez-vous suffisamment mangé ? s’enquit le père de Pivoine Maculée de Rose.
La Pierre de Lune était surpris par le respect que Joseph Zhong semblait vouer à ce jeune prêtre aux manières brusques et pataudes.
— Parfaitement bien. J’ai la panse pleine… Au fait, Zhong, j’ai proposé à La Pierre de Lune de venir m’aider…
— Je lui ai dit que je ferais ce que vous souhaiteriez, souffla La Pierre de Lune.
— Les travaux d’aménagement de notre dispensaire sont en passe de s’achever. Si le père Monceau a besoin de toi à Zhangzhou, je ne peux que t’encourager à aller lui prêter main-forte. Son projet mérite de voir le jour, à la fois pour la santé de tous ces pauvres gens qui seront enfin soignés, mais également pour la gloire de Dieu tout-puissant et miséricordieux dont il témoignera ! répondit Joseph d’un air pénétré.
Monceau, ravi par ces propos, se tourna vers le calligraphe et lui lança, à la fois insistant et enjoué :
— Alors, qu’en dites-vous ?
Sans attendre la réponse du principal intéressé, le père de Pivoine crut bon d’ajouter :
— Dès que le gros œuvre sera achevé, il suffira à La Pierre de Lune de me prévenir et je viendrai moi-même vous prêter main-forte pour les aménagements intérieurs ainsi que pour les achats de remèdes.
— C’est très gentil à vous. J’en suis fort aise… s’empressa de répondre Alexandre en jetant à La Pierre de Lune une œillade qui se voulait complice.
— A présent, si vous le souhaitez, père Monceau, nous pourrions visiter la réserve où je range mes simples ainsi que mes substances médicamenteuses, ajouta Joseph Zhong pour qui le « prêt » de La Pierre de Lune au lazariste allait tellement de soi qu’il n’avait même pas éprouvé le besoin d’en parler à l’intéressé.
— Volontiers ! Si vous saviez ce que j’ai hâte de voir tout ça ! gloussa le jeune prêtre.
Joseph le conduisit derrière la cour du dispensaire où, après avoir sorti plusieurs clés de sa poche, il ouvrit une lourde porte renforcée par des plaques de métal. Aussitôt, de délicieux effluves de camphre, de géranium et de poivre mêlés à d’étranges notes qu’Alexandre sentait pour la première fois jaillirent de la douce pénombre où baignait l’entrepôt. À l’intérieur, toutes les substances, classées selon leurs vertus thérapeutiques, étaient rangées sur les étagères, dans des bocaux de grès ou de petites coupes en osier dûment étiquetés.
— Tout est là, dit Joseph.
— C’est extraordinaire ! fit Alexandre en avançant à pas de loup entre les rayonnages.
Légèrement inquiet, il passa devant les substances qui « libèrent vers l’extérieur » et augmentent la sudation, à l’instar de la jeune tige de l’arbre à cannelle, de la feuille de carotte sauvage, de celle de la grande bardane ou encore du bouton de fleur du magnolia ; puis, toujours sur le qui-vive, il découvrit les substances laxatives comme la rhubarbe, le séné, le chanvre, l’aloès, le miel d’acacia ; après quoi, ce furent les remèdes qui « évacuent la chaleur », connus pour leur pouvoir réfrigérant : le bambou, le lotus, la pivoine arborescente, le pastel, le pourpier sauvage, la gentiane, le frêne, la vesse-de-loup et la corne de rhinocéros ; puis ce fut au tour des remèdes déshydratants telles l’hysope, l’écorce de magnolia, ainsi que des diurétiques, à l’instar de la truffe, du plantain d’eau, du maïs, de la patate douce et de la mauve verticillée.
— De l’autre côté, il y a les remèdes qui « expulsent l’humidité venteuse {57} » comme la gentiane, le cognassier et la vipère…
— La vipère ?
— On fait bouillir le serpent après lui avoir coupé la tête et on le consomme sous la forme d’une soupe tiède, si possible avec du sucre…
Le jeune lazariste, liquéfié à cette idée, fit la moue.
— C’est très efficace !
— Je n’en doute pas…
— Ici, ce sont les remèdes qui « réchauffent le milieu intérieur » : l’aconit, le gingembre, le fenouil et le giroflier… et là ceux qui « ouvrent les portes de l’esprit {58} », le
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