Le sac du palais d'ete

nos patients demandent à se convertir au catholicisme…
    —  J’ai entendu dire que les missionnaires anglais ont, dans ce domaine, une sacrée avance sur nous, grâce à un certain Morrison {53} .
    —  C’est exact. Son gendre, le révérend Hobson {54} , fait un travail remarquable. D’après ce qu’on dit, il aurait mis au point un remède permettant aux consommateurs d’opium de se passer de drogue… ce qui lui vaut les foudres des autorités anglaises. Les missions protestantes les plus performantes sont toutes dirigées par des pasteurs médecins.
    Satisfait de constater que son interlocuteur avait parfaitement compris où il voulait en venir, Monceau lui lança d’un air entendu :
    —  Cela n’a rien d’étonnant. Quand on soigne les corps, les âmes suivent obligatoirement…
    —  Il est dommage qu’il n’y ait pas de médecins parmi les missionnaires catholiques…
    —  Je suis en désaccord avec vous ! L’activité d’un prêtre, qui agit au nom du Christ, est d’essence divine. Les protestants passent leur temps à mélanger le profane et le sacré… les torchons et les serviettes… fulmina le Français.
    —  Veuillez m’excuser mais, n’étant moi-même converti que depuis trois ans, j’ignore encore certaines subtilités de la religion du Christ, bredouilla Joseph, déstabilisé par la violence des propos du lazariste.
    Un ange passa, Alexandre ayant dû ôter une de ses chaussures où un minuscule caillou s’était glissé. Puis, une fois l’opération réalisée, comme si de rien n’était, le jeune prêtre poursuivit :
    —  Et puis, il vaut beaucoup mieux proposer aux Chinois d’être soignés selon leurs propres méthodes plutôt que de vouloir leur imposer les principes de la médecine occidentale !
    —  Quoi qu’il en soit, le père Lanchon, votre prédécesseur, soignait les âmes à merveille ! Et pour le coup, je parle d’expérience.
    —  Je sais ! À tous égards, votre conversion fut exemplaire ! gloussa le jeune prêtre, soudain d’humeur guillerette.
    Joseph Zhong, pieusement, courba l’échine et se signa, avant de murmurer d’une voix émue :
    —  Le père Lanchon m’ouvrit les yeux sur le Christ, Dieu fait homme et descendu du ciel pour nous sauver…
    —  Ne trouvez-vous pas ma démarche quelque peu présomptueuse   ? Je n’ai aucune espèce de connaissance en médecine chinoise !
    —  Si je peux vous aider en quoi que ce soit, n’hésitez pas à me le demander…
    Alexandre, qui n’attendait que ça, lui répondit du tac au tac :
    —  En acceptant de me détacher pendant quelques mois l’un de vos collaborateurs, vous me rendriez un bien fier service, monsieur Zhong !
    Celui que le père Lanchon avait baptisé Joseph n’eut pas longtemps à réfléchir.
    —  Veuillez me suivre, j’ai peut-être ce qu’il vous faut, fit-il au bout de quelques instants.
    Le père de Pivoine Maculée conduisit le père Monceau vers l’un des hangars à bateaux qu’il était en train d’aménager en hôpital. Les travaux touchaient à leur fin. La Pierre de Lune supervisait l’équipe de maçons qui mettait la dernière touche à la façade d’un ancien hangar à bateaux en haut de laquelle avait été accrochée une immense croix.
    Joseph Zhong fit les présentations, qu’il termina par ces mots :
    —  En l’espace de quelques mois, La Pierre de Lune est devenu mon bras droit. C’est lui qui a supervisé les travaux du nouveau dispensaire. Grâce à ce bâtiment, nous pourrons doubler le nombre de nos patients…
    —  Bonjour, père Monceau. J’ai beaucoup entendu parler du père Lanchon, fit poliment le fils caché de l’empereur de Chine, avant de s’éloigner vers un ouvrier.
    Joseph glissa au jeune lazariste :
    —  Avec un garçon de cette trempe, votre hôpital sortirait de terre en moins d’un an !
    —  A-t-il des connaissances médicales   ?
    —  Il apprend vite et lit à la perfection le chinois classique. Il sait par cœur les livres qu’il faut connaître pour identifier les bonnes plantes et les substances adéquates. Il sait parfaitement prendre le pouls des malades et déterminer s’il est flottant, bondissant, faible ou effondré afin d’établir le diagnostic différentiel…
    —  Qu’appelez-vous diagnostic différentiel, Joseph   ?
    —  Le diagnostic différentiel est basé sur huit principes {55} . II permet de révéler le stade d’évolution du mal, la direction de cette