Le sac du palais d'ete
dans un peu d’alcool de riz…
— Excusez-moi, pourriez-vous me dire où se trouvent les toilettes, s’il vous plaît ? fit soudain, d’une voix mourante, Monceau, qui venait d’être pris d’une irrépressible envie de vomir.
Après avoir rendu ses tripes, il rejoignit la famille Zhong qui était déjà à table, en compagnie du jeune Chinois dont Joseph lui avait vanté les mérites.
— Pouvez-vous dire le bénédicité ? demanda pieusement ce dernier au Français.
D’un geste lent et solennel, Monceau s’exécuta, avec un air si pénétré qu’il touchait à la componction. Autour de la table, chacun se signa avec ferveur, sauf La Pierre de Lune, ce qui lui valut un coup d’œil aigu du lazariste.
— Quelles sont les maladies les plus courantes des Chinois, monsieur Zhong ? enchaîna-t-il pendant que le cuisinier posait sur la table une carpe baignant dans sa sauce aigre-douce.
— Quand on ne mange pas assez, on a des troubles du Qi {56} . Les gens qui viennent se faire soigner ont une déficience du Qi nourricier qui entraîne un affaiblissement du Qi gardien. Dès lors, le corps devient vulnérable aux agressions extérieures : le froid, le vent, la pluie, les pollens printaniers !
Médusé, le père Monceau, pour lequel la science médicale consistait à trouver le remède adéquat aux microbes et aux maladies, écoutait Joseph Zhong exposer les théories des souffles originels. Les mots employés étaient enchanteurs, presque magiques. De la qualité d’un bon Qi dépendait celle des trois autres humeurs somatiques : le sang Xue, l’essence vitale Jing et le fluide Jinye. Le Jinye était extrait des aliments digérés par les différents organes du corps qui, à leur tour, le transformaient en différents liquides : le foie en larmes, la rate en salive, le cœur en sueur et les reins en urine.
— Quels types de plantes, ou plus généralement de substances, devrai-je selon vous me procurer lorsque j’aurai ouvert mon dispensaire… le style de médicament permettant de faire face au tout-venant ? demanda-t-il à son hôte après que celui-ci eut achevé son bref exposé.
— Si je peux me permettre de vous donner un conseil, le plus efficace serait de vous faire conseiller par un praticien, à défaut de quoi vous risquez fort d’être abusé par des charlatans qui vous fourniront du foin ou des mauvaises herbes…
Une lueur d’effroi traversa le regard du jeune lazariste. La mise en œuvre de son dispensaire serait moins simple qu’il n’y paraissait.
Le repas achevé, le père Alexandre Monceau se précipita vers notre calligraphe, le prit à part et lui lança :
— La Pierre de Lune, il faut absolument qu’on se parle !
— Je vous écoute, père Monceau.
— Voilà ! Je cherche quelqu’un qui m’aiderait à. monter un dispensaire à Zhangzhou.
— Tout ce qui peut alléger les souffrances du peuple doit être encouragé !
— Les gens meurent dans la rue comme des chiens… Juste devant ma porte ! Le spectacle n’est pas beau à voir !
— Hélas ! dans toutes les villes chinoises, les gens pauvres meurent dans la rue…
— J’ai beaucoup de mal à côtoyer la souffrance des autres sans être moi-même en état de la réduire… Le plus tragique, c’est de se dire que tous ces miséreux rendent l’âme sans que celle-ci ait été baptisée ! Ne trouvez-vous pas cela terrifiant ? fit le lazariste avec ce ton un peu précieux dont il usait dès qu’il était question de religion.
— Je n’ai pas été baptisé, père Monceau.
— C’est ce que je me suis laissé dire. Je ne désespère pas de vous convaincre de devenir catholique. Vous devriez réfléchir… prendre exemple sur Joseph Zhong ! fit le jeune lazariste qui ne doutait pas une seconde du bien-fondé de ses propos.
La Pierre de Lune, tout en y mettant les formes, répliqua d’une voix égale à ce jeune prêtre dont la naïveté lui paraissait confondante :
— Il risque de m’être difficile de prendre exemple sur quelqu’un auquel je n’arrive pas à la cheville !
— Je n’insiste pas pour aujourd’hui, mais croyez bien que je reviendrai à la charge autant qu’il le faudra… En attendant, puis-je compter sur vous ?
— Pour le dispensaire ?
— Évidemment. Lorsque j’ai parlé de mon projet au docteur Joseph, il m’a aussitôt conduit auprès de vous.
— Il faut que j’en parle avec lui.
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