Le sac du palais d'ete
évolution et la façon dont les symptômes affectent le patient. Après ce diagnostic, il devient possible d’établir une ordonnance en bonne et due forme.
— À partir de quand pourriez-vous me prêter ce garçon ?
— C’est l’affaire de quelques mois ! Dès que les travaux de cet hôpital seront achevés, La Pierre de Lune, à condition, bien entendu, qu’il soit d’accord, pourra venir vous prêter main-forte…
— Acceptera-t-il de venir travailler avec moi alors qu’il ne me connaît pas ?
— Je l’encouragerai à accepter. Cela m’étonnerait qu’il refuse de vous rendre service, surtout si vous lui expliquez la situation sanitaire à Zhangzhou. C’est un être d’une grande générosité. Très dévoué aux autres… Comme de nombreux bouddhistes !
Une vive lueur d’inquiétude traversa le regard du jeune lazariste qui alla se poser sur l’échafaudage où on apercevait la silhouette de La Pierre de Lune.
— Il n’est donc pas catholique ?
— Pas que je sache ! Il a été moine bouddhiste à Canton. Vous savez, pas plus que je n’y ai moi-même été contraint, je n’ai jamais forcé quiconque à se convertir…
Monceau esquissa une grimace. Par ses propos, son interlocuteur venait de baisser de quelques crans dans son estime. À Paris, les bons pères de la communauté lazariste lui avaient seriné qu’il ne fallait surtout pas confondre compassion bouddhiste et charité chrétienne. Sûrs de leur bon droit canonique, les lazaristes, à l’instar des autres congrégations religieuses, mettaient dans le même sac les bouddhistes et les adorateurs de ces innombrables idoles qui pullulaient à la surface du globe. Il convenait de sommer les hommes de les abandonner au profit du seul Dieu valable, celui des chrétiens. Quant à la question de la conversion forcée, elle ne se posait même pas puisque c’était la seule façon de permettre à de pauvres mécréants promis aux flammes de la géhenne de se retrouver au paradis !
La Pierre de Lune repartit vers la foule des malades qui grossissait et qu’il fallait canaliser tandis que le lazariste et son hôte continuaient la visite.
Les patients étaient nombreux à affluer des contrées voisines et parfois de plus loin encore, afin d’être présents dès l’ouverture de la consultation de celui qu’on appelait désormais « le bon docteur Joseph ». La nouvelle qu’on pouvait se faire soigner gratuitement à Shantou s’était répandue comme une traînée de poudre, au point qu’au sein de la famille Zhong, les activités humanitaires étaient en train de prendre le pas sur celles du chantier naval. Mais Joseph, guidé par une foi grandissante, se donnait chaque jour un peu plus à cette œuvre consistant à dispenser des soins à une population qui n’y avait pas accès. Lorsque La Pierre de Lune, à l’issue de sa guérison, lui avait annoncé qu’il était à sa disposition pour l’aider, Joseph, sans hésiter une seconde, lui avait confié la supervision de l’aménagement d’un dispensaire digne de ce nom. Le bâtiment était pratiquement achevé. Outre deux salles de consultation, il comportait un dortoir permettant de recevoir une trentaine de patients, ainsi qu’un réfectoire où chacun pouvait manger gratuitement un bol de riz aux légumes.
Ce jour-là, une famille entière touchée par un terrible eczéma faisait la queue pour obtenir la crème à base de menthe pilée et d’huile de cade que Joseph Zhong leur avait déjà prescrite. Derrière elle, deux femmes hors d’âge, les pieds en sang et couverts de pus, en réalité deux squelettes cassés en deux, se tenaient par la main. À voir la mine terrifiée et les gouttes de sueur qui perlaient sur le front d’Alexandre devant le spectacle de ces pauvres gens dont certains étaient touchés par la lèpre, la petite vérole ou la tuberculose, il n’était pas difficile de constater que ce jeune prêtre inexpérimenté ignorait complètement ce qui l’attendait lorsqu’il avait décidé de marcher sur les brisées de feu le père Lanchon.
— Tous ces boutons purulents ne sont-ils pas terriblement contagieux ? murmura-t-il d’une voix d’outre-tombe lorsque la visite s’acheva.
— Quand on soigne les gens, il ne faut pas se poser ce type de question. Pour ce qui me concerne, mes malades ne m’ont jamais transmis leurs maladies ! Il suffit de se désinfecter les mains avec des baies de magnolia écrasées
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