Le sac du palais d'ete
fut rude… et puis tous ces officiels qui ne vous disent jamais non en face, à force, c’est usant… J’ai commencé à sillonner le pays de long en large. Figurez-vous que je suis devenu toqué d’antiquités chinoises et japonaises ! Ici, tout s’achète pour une bouchée de pain.
— J’étais sûr que vous vous y mettriez, monsieur le consul ! s’écria Antoine qui se souvenait parfaitement de la conversation qu’ils avaient eue à ce sujet.
— Je compte bien montrer mes collections chinoises et japonaises à l’Exposition universelle de Paris ! précisa M. de Montigny en se rengorgeant.
— Quand doit-elle ouvrir ?
— En principe, au printemps de 1855. Dans moins d’une petite année… Si l’empereur n’y met pas son veto !
— Pourquoi le mettrait-il ?
— Je plaisante ! En tant que promoteur des expositions universelles, l’empereur des Français serait le plus mal placé pour les interdire ! s’esclaffa le consul, bien content du tour qu’il avait joué à son ancien collaborateur.
Stocklett et Rémi, entre-temps, étaient revenus de leur petite escapade.
— La police impériale quadrille la concession, avertit l’horloger.
— Je croyais que les Chinois s’interdisaient d’empiéter sur les prérogatives des nations auxquelles ces terrains ont été concédés ! fit Antoine.
— Les Shanghaiens redoutent une offensive des Taiping… Ces gueux égorgent sans pitié les populations civiles. Dans leur sillage, ils ne laissent que des cadavres et des bâtiments brûlés… À Nankin, ce fut pire encore. La population de la ville a été massacrée, ajouta Rémi.
— Les Taiping sont de vrais sauvages, n’en déplaise à M. de Bourboulon ! ajouta aigrement le diplomate.
Au cours de la brève visite qu’il avait rendue aux Taiping à bord de la corvette Cassini le 30 novembre 1853, Alphonse de Bourboulon, le nouveau ministre plénipotentiaire de la France et à ce titre patron direct de Charles de Montigny, avait été agréablement surpris par les propos d’un haut responsable qui lui avait certifié que les Français et les « cheveux longs » ayant le même Dieu, ils ne mettraient aucun obstacle au développement en Chine de la religion catholique {67} …
— Êtes-vous sûr qu’ils sont aussi sauvages qu’on le dit ? demanda Stocklett, dubitatif.
— Lisez donc la presse ! lui rétorqua Charles de Montigny, soudain pincé.
— À Singapour, les journaux arrivent de Londres avec quatre mois de retard !
— M. le consul fait allusion à un reportage paru dans le North China Weekly , une gazette ma foi fort bien documentée. Le reporter y raconte l’offensive menée par les Taiping en Anhui. Ils envoient au front des enfants de dix ans à peine, armés d’arcs et de flèches, face aux fusils et aux canons des impériaux… Croyez-moi, la cruauté de ces gens qui se réclament pourtant de Jésus-Christ fait froid dans le dos, expliqua l’horloger sur un ton véhément.
— Il faut toujours se méfier de ce que racontent les journalistes. Très souvent, ils enjolivent ou enlaidissent… c’est selon ! fit l’Anglais, maussade.
— Ce reporter se rend systématiquement sur le terrain. Il ne décrit que ce qu’il voit… précisa alors le consul de France en allant ouvrir une armoire d’où il sortit un gros classeur qui débordait de coupures de presse et de paperasses, ajoutant : J’ai gardé les numéros du Weekly relatifs aux Taiping. L’autre jour, je les ai montrés au correspondant du Moniteur universel , un vrai journaliste en chambre, celui-là… Eh bien, figurez-vous que ce pauvre garçon a cru que je lui faisais la leçon ! s’exclama le consul, que le Champagne rendait visiblement de plus en plus guilleret.
Les deux hommes se plongèrent aussitôt dans les journaux que Charles de Montigny leur avait communiqués. Passé un moment de stupeur, Stocklett, qui venait de dévorer l’interview de Laura Clearstone par John Bowles, la tendit à Antoine avant de s’écrier d’une voix tremblante :
— Monsieur le consul, il faut absolument que je contacte le journaliste qui a rédigé cet article ! Ce garçon est un ami très cher. À Londres, nous étions voisins de palier…
— Le plus simple serait de vous rendre directement au Weekly. C’est à deux pas d’ici. A la frontière entre la concession anglaise et la vieille ville chinoise.
Le siège du Weekly était aisément
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