Le sac du palais d'ete
reconnaissable grâce à l’enseigne qui barrait le haut de la façade du petit immeuble de briques de style anglais où Bowles et Sassoon l’avaient installé un an plus tôt. En nage, Nash et Antoine déboulèrent dans une salle où s’activaient une dizaine de Chinois qui empaquetaient les exemplaires du journal sortis la veille de l’imprimerie.
— Où est Bowles ? s’écria Stocklett, hors d’haleine, à l’adresse de l’unique Occidental présent.
— Je suis son associé. Mon nom est Sassoon. Que puis-je pour vous ? fit ce dernier.
— Il faut absolument que je rencontre John Bowles. Je le connais depuis fort longtemps. Je suis un de ses vieux amis. Mon nom est Stocklett…
L’ancien comptable de Jardine & Matheson n’avait pas eu le temps d’achever sa phrase que Bowles apparut. Dès qu’il vit son ancien voisin, le journaliste se rua vers lui et les deux hommes tombèrent dans les bras l’un de l’autre.
— Monsieur Stocklett ! Si vous saviez comme je suis heureux de vous voir ici ! À présent me voilà rassuré… Moi qui pensais que vous n’aviez pas reçu mon courrier…
Nash tombait des nues.
— Mais de quel courrier voulez-vous parler, grands dieux ?
— Dès mon retour de Nankin, je vous ai écrit pour vous donner des nouvelles de Laura et de Joe Clearstone…
— Mon pauvre ami… j’ai quitté Londres depuis si longtemps que je ne me souviens même plus à quelle date exacte c’était ! Si vous saviez ce que je me félicite d’être venu jusqu’ici, malgré tout le temps qu’il m’a fallu pour avoir des nouvelles… lâcha l’ancien comptable de Jardine & Matheson d’une voix brisée par l’émotion.
— Je comprends, monsieur Stocklett. Je suis très heureux pour vous.
— Comment va-t-elle ?
— La dernière fois que j’ai vu Laura, je peux vous assurer qu’elle était en pleine forme…
— Quand était-ce ?
Nash, au comble de l’exaltation et du bonheur, était parti pour mitrailler John de questions plus précises les unes que les autres.
— L’année dernière. Je lui ai apporté le numéro spécial du Weekly sur le Céleste Royaume.
— Comme il me tarde d’aller la retrouver à Nankin ! s’exclama Stocklett.
— Vous tombez on ne peut mieux. J’y pars dans deux jours pour y remettre ceci à Laura : des papiers et de l’argent qui appartenaient à sa mère… J’aurais souhaité y aller plus tôt mais j’ai dû me rendre à Pékin pour assister à l’audience que l’empereur Xianfeng avait accordée à notre ambassadeur Bowring ! expliqua Bowles en brandissant le petit sac que le révérend Roberts lui avait remis.
— John, accepteriez-vous que je vous accompagne ? s’écria, éperdu d’espoir, l’ancien comptable de Jardine & Matheson.
— Vous êtes le bienvenu, Nash !
Antoine Vuibert, qui, quoique désireux de revoir la jeune Anglaise, n’avait pas envie de courir à nouveau des risques, demanda au journaliste :
— Les abords de Nankin ne sont-ils pas dangereux ? On dit que la ville est prise en tenaille par deux corps de l’armée mandchoue…
Le reporter sortit une feuille de papier qu’il déplia avant de la brandir fièrement sous le nez du Français.
— Il suffit de passer par les petites routes. Je dispose d’un sauf-conduit délivré par le Prince de l’Orient qui permet de franchir les barrages dressés par les cheveux longs…
Lorsqu’il sortit des bureaux du Weekly , Nash Stocklett, pour la première fois depuis qu’il avait appris la mort de Barbara Clearstone, était sur un petit nuage.
63
Nankin, 12 juillet 1854
À l’abri des larges feuilles du catalpa de son jardin qui rendaient un peu plus supportable la chaleur caniculaire qui s’était abattue sur Nankin, Laura Clearstone était en train de couper les cheveux de son fils Paul Éclat de Lune lorsque Xuanjiao vint la prévenir que John Bowles, accompagné par deux visiteurs étrangers, souhaitait la voir de toute urgence.
Dès qu’elle vit apparaître le journaliste, le visage de Laura s’éclaira.
— Vous ici, monsieur Bowles ? Quelle bonne surprise ! Après tout ce temps… Mais vous avez dû beaucoup peiner pour arriver jusqu’à Nankin !
Depuis plusieurs semaines, la contre-offensive des impériaux faisait rage, sous la houlette du général Zeng Guofan {68} dont les troupes harcelaient les lignes de défense de la Céleste Capitale. Un an plus tôt,
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