Le sac du palais d'ete
m’excuser… j’aurais dû vous parler et pas me contenter de vous écrire, mais la carrière diplomatique n’était vraiment pas faite pour moi. Il y a des choses qu’on ne découvre que lorsqu’on les vit ! bredouilla Antoine, heureusement surpris par le ton employé par Montigny qui n’était pas monté sur ses grands chevaux.
— En effet, mon ami ! C’est pourtant un métier passionnant ! Votre successeur est ravi de travailler ici avec moi ! Depuis le temps où vous m’accueillîtes à mon arrivée ici, pour entrer dans la carrière, il faut montrer patte blanche. Ce jeune attaché consulaire avec lequel j’ai le plaisir et l’honneur de collaborer a été reçu troisième au concours diplomatique… lâcha le consul sur un ton appuyé et comme s’il parlait là d’une époque antédiluvienne.
— Il faut passer un concours pour devenir diplomate ! ne put s’empêcher de murmurer Antoine, ce qui lui valut un coup d’œil aigu et agacé du consul.
Rémi, sentant que la conversation entre les deux hommes risquait de tourner au vinaigre, jugea bon d’intervenir :
— Monsieur le consul, ces deux messieurs souhaitent implanter leur compagnie de commerce dans la concession…
Le visage de Montigny s’illumina.
— C’est là une excellente idée. À quel type d’activité pensez- vous ?
— En fait, M. Vuibert songe à de l’import-export, répondit Stocklett.
— Ici, c’est l’import-export qui marche le mieux. Quel type de marchandises envisagez-vous ? demanda Montigny avec entrain.
Cela faisait des mois que le consul de France se démenait pour tenter de convaincre des Français de s’implanter dans la concession française. Le projet de son ex-collaborateur était, à cet égard, une vraie aubaine qui lui permettrait de rédiger – enfin ! – une dépêche diplomatique en bonne et due forme annonçant au ministère des Affaires étrangères que l’exemple de l’horloger Rémi commençait à être suivi d’effet. Il faut dire que les autorités françaises commençaient à s’impatienter après que Montigny leur avait « vendu », trois ans plus tôt, l’idée de concurrencer les Anglais et de faire si possible mieux qu’eux sur les soixante hectares de terrain que le vice-roi de Shanghai avait accepté de mettre à la disposition de la France.
— Nous avons déjà lancé une affaire d’opium depuis Singapour. Elle marchait fort bien jusqu’à ce que nous soyons grugés par notre associé indien. Nous souhaiterions réitérer l’expérience ici, expliqua Antoine.
— Vous n’avez pas peur de faire de l’ombre à Jardine & Matheson ou à Dent {65} ? demanda l’horloger.
— Nous éviterons de les prendre de front. Jusqu’à présent, nous n’avons jamais tenté de débaucher les compradores travaillant avec eux. Pour être clair, nous nous sommes contentés de recevoir les demandes de ceux qui souhaitaient devenir nos grossistes, précisa le Dauphinois.
— Grâce à nos faibles frais généraux, nous arrivons à un prix de l’opium sensiblement inférieur à celui des grosses compagnies, ajouta l’Anglais.
— Tout cela est très excitant… Montez donc à mon bureau. Je vous offre le Champagne ! s’exclama, soudain bon prince, le consul de France.
Charles de Montigny demanda à son maître d’hôtel d’aller lui chercher une des précieuses bouteilles de Dom Pérignon dont la France, chaque année, lui envoyait deux caisses scellées au plomb comme si elles étaient remplies de lingots d’or.
— J’espère que vous ne m’en voulez pas trop au sujet du terrain qui appartenait aux jésuites… hasarda Antoine, déjà légèrement gris.
Les deux verres de l’ineffable nectar qu’il avait sifflés à la file, sachant qu’il n’avait pas bu une seule goutte de Champagne depuis qu’il était arrivé en Chine, l’avaient rendu non seulement guilleret, mais également enclin à faire amende honorable.
— Il y a prescription, Vuibert ! Et puis votre initiative m’a donné des idées. C’est un peu grâce à vous si j’ai pu obtenir la concession, fit le consul que les petites bulles du nectar champenois portaient également à l’indulgence.
— Vraiment ?
Pas peu fier de son petit effet, Montigny répondit :
— Et comment ! J’ai commencé par placer le drapeau français sur cette maison qui appartenait aux jésuites avant qu’ils ne s’établissent à Zikkawei. Puis, sous
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