Le sac du palais d'ete
la cour mandchoue avait nommé commissaire général du Hunan ce Han confucéen de pure souche, avant de lui confier la lourde tâche de laver l’affront de la prise de l’ancienne capitale impériale.
— Heureusement, j’ai toujours sur moi le sauf-conduit tamponné du sceau du Tianwan. Je ne suis pas venu seul, ajouta le journaliste qui s’effaça devant ses deux compagnons de route.
Dès qu’elle aperçut celui qu’elle n’avait jamais pu se résoudre à appeler « oncle Nash » et dont elle avait appris, depuis, qu’il était son père, Laura Clearstone, passé le moment de stupeur qui lui avait coupé le souffle, s’avança vers lui.
— Monsieur Stocklett ? Vous ici ! Mais c’est incroyable !
Elle était si heureuse de le revoir qu’elle en regrettait mille fois ce dégoût qu’il lui inspirait lorsqu’elle était petite. Rose d’émotion, elle tendit la main à l’intéressé, qui s’en empara et la couvrit de baisers.
— Bonjour, monsieur Vuibert ! Je suis heureuse de vous revoir… après tout ce temps ! fit-elle, en se tournant, légèrement raidie, vers le Français.
— Laura, tu n’as pas changé. C’est pour moi un moment merveilleux que de te retrouver en parfaite forme… murmura, bouleversé, Nash, sur lequel, entre-temps, s’était rué Joe.
Le trisomique lui faisait fête, à coups de petites tapes sur les bras et sur les épaules, assorties de grognements de satisfaction.
Quant à Laura, à cet instant submergée par les larmes, la brusque irruption de son père dans sa vie présente lui faisait l’effet d’un coup de tonnerre libérateur qui lui chamboulait l’esprit au point qu’elle était prise d’une irrépressible envie de lui dire la vérité tout de suite. N’étaient-ce tous ces intrus, dont la présence l’en empêchait, elle lui eût sauté au cou avant de lui livrer le secret que sa mère lui avait révélé.
— Vous non plus… euh ! monsieur… vous n’avez pas changé ! Je me vois encore dans votre bureau à Londres… Vous ne pouvez pas savoir ce que j’étais impressionnée !
— Je m’en souviens comme si c’était hier, murmura Stocklett, la gorge nouée par l’émotion.
— Quelle surprise de vous voir ici ! Depuis quand êtes-vous arrivé en Chine ? bredouilla-t-elle pour se donner une contenance avant d’appeler son fils afin de le présenter à ce visiteur qu’elle n’attendait pas.
— J’ai débarqué à Canton en décembre 1847. Dès que j’ai appris le décès de ta maman, je suis parti de Londres… Je projetais de te ramener en Angleterre, avec ton frère, mais quand je suis allé sonner chez le pasteur Roberts, croyant vous y trouver, vous n’y étiez déjà plus !
À l’évocation du souvenir douloureux des jours qui avaient suivi le décès de sa mère, le visage de la jeune femme s’assombrit.
— M. Roberts voulait m’envoyer aux États-Unis pour m’enrôler dans son Église. Joe détestait cet homme. Je suis partie de chez lui, je l’avoue bien volontiers, sur un coup de tête. Si j’étais restée chez cet Américain, Joe et moi serions à présent aux États-Unis.
D’un geste vif, Nash, balayant cette issue qui, heureusement, ne s’était pas réalisée, s’exclama :
— Tout est bien qui finit bien, ma chérie. Si tu étais devenue une Américaine, il y a fort à parier que nous ne nous serions jamais retrouvés.
— Vous êtes donc en Chine depuis plus de six ans, murmura-t-elle, songeuse, mesurant le temps qu’il avait fallu pour qu’ils vécussent tous les deux ce moment extraordinaire de leurs retrouvailles.
— Six ans… c’est si peu et si long à la fois ! Grâce à Antoine Vuibert, j’ai tenu le coup. J’ai rudement bien fait de rester en Asie. Sans lui, il y a belle lurette que je serais reparti pour Londres. Je finissais par désespérer de te revoir ! Pas vrai, Antoine ? fit-il en se tournant vers le Français.
— Si je comprends bien, c’est vous que je dois remercier ? lâcha-t-elle en décochant à l’intéressé un sourire qui, pour une fois, n’était pas de circonstance et que ce dernier s’empressa d’empocher avec satisfaction.
— Quant à toi, tu n’as pas perdu de temps : ton fils est magnifique ! Il te ressemble quand tu avais le même âge, ajouta Stocklett qui caressait la chevelure de son petit-fils.
Émue par cette compréhension toute paternelle, elle se retint d’aller se réfugier contre sa
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