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Le sac du palais d'ete

Le sac du palais d'ete

Titel: Le sac du palais d'ete Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jose Frèches
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Rose reposant sur des écorces de magnolia à un mètre environ de son cadavre éventré, son estomac se souleva et un jet de bile lui envahit la bouche, le forçant à rendre ses tripes. Il tomba à genoux. S’il était arrivé la veille, lui aussi eût péri, égorgé comme un porc. Qui devait-il remercier   ? Lorsqu’il se surprit à accomplir d’une main peu assurée le signe de croix des chrétiens sur le front des trois Zhong, en commençant par celui du père et en finissant par celui de la jeune fille qui rêvait tant de l’épouser, il eut l’impression qu’une force supérieure l’avait poussé à faire ce geste.
    Au bout de quelques secondes, conscient qu’il n’était pas raisonnable de rester là une seconde de plus, les Taiping risquant à tout moment de revenir, il se releva et regagna précipitamment la cour.
    Le soleil dont elle était inondée et qui faisait luire les traces de suie des murs ruinés et des charpentes calcinées lui réchauffa le corps à défaut de l’âme. Prenant une fois de plus son courage à deux mains, il décida de voir un signe positif dans ce changement de temps.
    Pour se donner de l’énergie, il tâta son étui à pinceau. La douceur du bambou poli, aussitôt, lui mit du baume au cœur.
    Le malheur et le bonheur se touchent.
    L’expression confucéenne pouvait prendre tout son sens à condition de sortir du malheur de Shantou car c’était la condition indispensable pour que le bonheur ait une chance de parvenir jusqu’à lui comme la flèche atteint sa cible.
    Souvent, les gens se complaisent dans le malheur car celui-ci les culpabilise en les persuadant qu’une fois qu’on a été touché par lui, tout bonheur est inaccessible.
    Ne pas se complaire dans le malheur. Chasser de soi le malheur… comme on chassait la maladie, par des remèdes et par des exercices respiratoires appropriés.
    La méthode taoïste pouvait réussir, à condition qu’il eût la force et la volonté de se l’appliquer à lui-même.
    Comme si la vie avait décidé de ne pas lui donner d’autre choix que de continuer la sienne, La Pierre de Lune constatait que sa volonté d’aller de l’avant restait intacte… Malgré la mort de Pivoine, malgré le malheur qui avait frappé Shantou, il fallait absolument poursuivre la route, aller vers ce destin qui le poussait désormais à s’arracher au plus vite de ces lieux de mort pour repartir vers d’autres cieux dont on pouvait espérer qu’ils fussent plus cléments…
    Le bonheur serait-il, pour une fois, au bout du chemin   ?
    Le malheur et le bonheur se touchent.
    Un bonheur efface dix mille malheurs.
    Ce bonheur, il le lui fallait à tout prix.
    Alors, comme un automate et à l’aveuglette, sans même se poser la question de savoir où il devait se rendre, mais convaincu néanmoins que Laura l’attendait là où il irait, il se remit à marcher…

 
    66
     
    Shanghai 17 mars 1855
     
    —  Votre petit Paul fera à coup sûr un grand médecin ou un illustre avocat, madame Clearstone ! déclara Janie Greenwich, en glissant vers Laura une assiette de scones dégoulinants de beurre avant de lisser, d’une façon mécanique et qui trahissait l’accoutumance à ce geste, la nappe immaculée où un cran minuscule venait de se former.
    Janie Greenwich était une petite femme à la face rabougrie et aux cheveux gris tirés vers un chignon serré dont elle s’assurait régulièrement de la tenue. Coquette, elle était vêtue de robes à fleurs qu’elle mettait un point d’honneur à assortir aux couleurs des saisons – mauve en hiver, jaune au printemps, rouge en été et jaune à l’automne – et à repasser jusqu’à ce qu’elles ne comportassent plus aucun « mauvais pli », ce qui pouvait durer des heures.
    Cela faisait cinq ans que Mme Greenwich avait débarqué à Shanghai dans les valises de son mari, un certain Jay Hammersted Greenwich. Ce gros Gallois au visage sanguin barré par une énorme moustache dont il cirait les pointes avait fait le pari que les Chinois lui achèteraient les barriques dont les grandes propriétés viticoles de la région de Porto ne voulaient plus parce qu’elles étaient trop chères. Son équipée chinoise n’avait même pas eu le temps de tourner au fiasco que Jay, qui croyait naïvement que le whisky dont il buvait un flacon tous les jours servait de désinfectant à l’eau, avait été emporté par la fièvre typhoïde. Depuis sa mort, sa veuve louait les chambres de leur

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