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Le sac du palais d'ete

Le sac du palais d'ete

Titel: Le sac du palais d'ete Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jose Frèches
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mieux pourquoi ce village est vide… Tous les habitants ont fui devant les Taiping…
    —  Hélas non !
    Que voulez-vous dire   ?
    —  Rends-toi au bout de la rue et tu comprendras… lâcha d’un ton las le vieux lettré.
    D’un pas hésitant, La Pierre de Lune, qui s’attendait au pire, s’exécuta. Arrivé à l’angle d’un entrepôt, ce qu’il vit dépassait en horreur ses pires cauchemars. Dans une fosse laissée à ciel ouvert, des centaines de corps ensanglantés s’entassaient, emmêlés les uns dans les autres de façon si compacte qu’ils semblaient y avoir été comprimés par une énorme presse. Le déluge qui s’était abattu sur la région et transformait les rues de la bourgade en torrents alpestres avait rempli le tombeau collectif d’un liquide brunâtre qui en débordait par le biais de minuscules sillons formant sur l’argile un monstrueux réseau fourmillant de veinules.
    Accablé, il quitta ce lugubre gisement de mort et revint d’un pas lourd vers le vieux couple.
    —  Nos deux fils, nos deux belles-filles ainsi que nos huit petits-enfants gisent dans la fosse… Les longs cheveux avaient décidé d’exterminer toute la population du village ! se mit à hurler la vieille en frappant les poings contre sa poitrine.
    —  Pourquoi tant de cruauté   ? lâcha La Pierre de Lune qui bouillait de colère.
    —  Leur chef était sous l’emprise de l’opium… Le reste de la bande était composé d’enfants de moins de quinze ans qui lui obéissaient au doigt et à l’œil ! répondit d’un air sombre le vieux calligraphe.
    —  Savez-vous ce qu’est devenue la famille Zhong   ? lui demanda, haletant, le fils caché de Daoguang.
    —  Ceux du chantier naval transformé en dispensaire   ?
    —  Oui !
    —  Je n’en sais rien… Va voir. Peut-être ont-ils eu le temps de s’échapper   ? Les gens aisés sont toujours mieux informés que les pauvres.
    Fou d’inquiétude, le jeune Chinois s’apprêtait à se précipiter chez Pivoine Maculée de Rose lorsque, d’une voix infiniment lasse, le vieux lettré ajouta :
    —  Fais attention à toi, certains « longs cheveux » continuent à rôder dans les parages, à la recherche d’alcool et d’opium.
    En toute hâte, il traversa le village martyrisé, en s’efforçant de ne pas prêter attention aux cadavres que les Taiping n’avaient pas pris la peine de traîner vers la fosse commune. Quand il aperçut les ruines encore fumantes du dispensaire et de la maison de Joseph Zhong, son cœur se serra et il eut la conviction que le pire avait dû arriver à cette famille chinoise convertie au catholicisme.
    Tel un fantôme errant soucieux d’éviter le moindre bruit, il pénétra dans la cour sur la pointe des pieds, passa, sans oser y jeter un regard, devant la réserve aux simples qui avait été dévastée et se dirigea vers la salle commune de la maison. Elle n’était plus qu’une affligeante coque vide aux murs noircis par les flammes et dont le mobilier était réduit à l’état de cendres. Il en ressortit pour se rendre dans l’unique entrepôt à bateaux que Joseph avait gardé et fit le tour de la dizaine de barques retournées qui s’y trouvaient. Elles avaient été laissées intactes par les Taiping. Au moment où il allait se rendre dans la réserve aux simples, il entendit des pas et n’eut que le temps de se jeter, haletant, sous la coque de l’un de ces longs canots.
    Tapi sous les planches où le goudron quasiment irrespirable de la laque de colmatage n’avait pas encore séché, il vit se déplacer une série de pieds nus, épais et grisâtres, à la plante racornie.
    —  Inutile de chercher par là ! Y a rien qui vaille ! s’écria une voix d’enfant, presque innocente.
    Il ne put s’empêcher d’imaginer ce jeune Taiping, semant la mort, après avoir avalé une gorgée de gnole pour se donner du courage, en abattant son épée sur le cou de ses victimes avant de leur arracher les yeux et de leur couper la langue comme le prévoyait le manuel guerrier du Tianwan.
    Le silence revenu, après s’être extirpé, à bout de souffle, de sa cachette, il se rua vers l’entrepôt à remèdes. Au milieu des débris de bambou, de feuilles de lotus et de pivoine arborescente, de pastel, de pourpier sauvage, de gentiane, de frêne, de vesse-de-loup et de corne de rhinocéros, trois pauvres corps gisaient, décapités. Quand il découvrit la face aux yeux mi-clos de Pivoine Maculée de

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